Ambassadeur du Disquaire Day ce samedi et en concert à la Cité de la Musique le lendemain dans le cadre de l’exposition Electro, de Kraftwerk à Daft Punk à la Philharmonie, Arnaud Rebotini jette un œil dans le rétro et évoque sa riche actualité.
Premier ambassadeur français honoré pour le Disquaire Day, dont la neuvième édition se déroulera samedi 13 avril chez plus de deux cents disquaires indépendants de l’Hexagone, Arnaud Rebotini possède une actualité foisonnante en ce nouveau printemps. Entre la réédition de l’album intemporel de Zend Avesta, Organique (2000), qui comptait à son générique Alain Bashung, Mona Soyoc (Kas Product) ou encore Roya Arab (Archive), et la sortie de la bande-son du spectacle de danse contemporaine Fix Me du chorégraphe Alban Richard, le géant Nancéien se produira le 14 avril sur la scène de la Cité de la Musique pour interpréter avec un ensemble orchestral la musique de 120 Battements par minute (2017) dans le cadre de l’exposition Electro.
Il y a un an, Arnaud Rebotini recevait, en pleurs inattendus et à coups de punchlines inspirées (“Le sida n’est pas qu’un film”), un César pour la bande originale du film à succès de Robin Campillo. Une récompense méritée pour ce pionnier de la scène electro française, inexplicablement jamais nommé aux Victoires de la musique… Inchangé dans sa franchise proverbiale et toujours aussi charismatique (banane gominée, moustache de biker et costume trois pièces), l’auteur de Karlheinz Stockhausen Was the Funky Drummer planche sur un nouvel album avec ses tout premiers morceaux écrits dans la langue de Debussy, l’un de ses héros.
Comment es-tu devenu, au mitan des années 1990, disquaire chez Rough Trade à Paris ?
Encore étudiant, j’avais déjà bossé à la Danceteria, mais plutôt pour y effectuer les tâches ménagères (sourire). Puis j’ai rejoint Rough Trade dans le quartier de Bastille grâce à un ami, Jérôme Mestre, qui avait déjà fondé son label Artefact, où j’allais publier les productions de Zend Avesta. À l’époque, les disquaires étaient des endroits assez magiques, où les vendeurs détenaient, comme les journalistes, l’information – ce qui a totalement disparu avec internet.
En arrivant tous les matins chez Rough Trade rue de Charonne, j’avais l’impression de vivre à Londres. Entre les disques en import et la presse anglaise, la boutique était un vrai centre névralgique de la capitale. Avec mes collègues, dont Ivan Smagghe avec qui j’ai formé Black Strobe, nous étions en pleine guéguerre amicale autour de la drum’n’bass (sourire). Mes années chez Rough Trade n’ont évidemment pas arrangé ma frénésie compulsive d’acheter des vinyles. D’autant que je fais partie d’une génération qui a aussi collectionné des CD… Aujourd’hui, je dois posséder à peu près 10000 disques.
À l’époque de la French Touch, tu multipliais allègrement les pseudonymes : Aleph, Avalanche, Zend Avesta, Black Strobe, Maison Laffite…
Oui, c’était une manière détournée pour composer dans tous les styles. Mais le projet musical qui m’a toujours tenu le plus à cœur, c’est celui de Zend Avesta. J’ai toujours été fasciné par l’intemporalité des disques. Après plusieurs maxis, j’ai énormément travaillé sur l’album, qui était paru en major chez Barclay, mais j’ai mal vécu le passage du disque à la scène. N’étant pas instrumentiste de formation, j’avais ressenti beaucoup de frustrations pendant la tournée. Avant d’être pris dans le tourbillon de Black Strobe et de la musique de club.
On sait d’ailleurs que tu entretiens un rapport plutôt ambivalent avec la musique de club…
J’avais beau traîner mes guêtres au Rex puis au Pulp, je ne souhaitais absolument pas devenir DJ – une activité que j’ai fini par exercer par la force des choses et que je pratique encore aujourd’hui, même si elle ne m’a jamais complètement satisfait. Plus jeune, j’étais encore plus radical à ce sujet. J’ai toujours été happé par autre chose que le dance-floor. En m’affranchissant de la techno et de la house, je suis finalement devenu compositeur.
A l’aune de l’édition en vinyle de l’album de Zend Avesta pour le Disquaire Day, qu’as-tu redécouvert à l’écoute du disque ?
Ma première surprise a été de redécouvrir le morceau caché à la fin du CD. Il fallait être sacrément dingue pour ne pas l’indexer, mais c’était alors la grande trouvaille des labels, comme sur le fameux Nevermind (1991) de Nirvana. Dans l’histoire de la musique, il y a ainsi eu des modes complètement aberrantes (rires).
En réécoutant Organique, j’ai retrouvé des similitudes avec mon travail sur les bandes originales de films. Pour l’anecdote, cet album n’aurait jamais dû paraître sous l’alias Zend Avesta, mais sous mon patronyme civil. Mon prochain enregistrement sera certainement le plus proche de l’univers de Zend Avesta et sortira sous le nom d’Arnaud Rebotini & Le Dog Van Club, mon groupe scénique ainsi baptisé en référence à Don Van Vliet de Captain Beefheart.
Revenons sur la période Black Strobe. Comment l’appréhendes-tu rétrospectivement ?
Nous sommes partis d’une formation electroclash en 1997, avant d’effectuer, dix ans plus tard, un virage artistique à centre-quatre-vingts degrés en reprenant I’m A Man de Bo Diddley sous influence ZZ Top. Entre-temps, Ivan Smagghe est parti après l’album Burn Your Own Church (2007), à cause d’une guerre d’ego larvée entre nous. Malgré tout, je garde d’excellents souvenirs de notre collaboration artistique.
Après Zend Avesta, Black Strobe m’a réconcilié avec les concerts. Au point que Music Components (2008), mon premier disque solo, est la conséquence directe de la tournée de Black Strobe. Ainsi, j’ai remonté un set électronique avec des synthétiseurs connectés entre eux, exactement comme à la naissance de la techno en 1984. Sans prendre un seul cours de piano, j’ai toujours rêvé secrètement de devenir Herbie Hancock (sourire).
Comment es-tu devenu un compositeur courtisé par le septième art, et particulièrement par le réalisateur Robin Campillo ?
J’ai commencé à mettre un pied dans le cinéma grâce à Jean-Pierre Limosin pour Novo (2002). Il m’avait demandé de composer un morceau romantique un peu chatoyant pour la fin du film. Puis plus rien jusqu’à ce que Robin Campillo m’appelle un beau jour pour Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, dont il est coscénariste et monteur. Ils souhaitaient utiliser une version edit d’Organique sur l’album de Zend Avesta, mais la musique n’a pas fonctionné avec les images.
Robin Campillo me rappelle pour son deuxième et excellent long métrage, Eastern Boys (2013), en me sollicitant d’abord pour inclure un titre de Someone Gave Me Religion (2011), mon second album solo, et composer le reste de la bande-son. Avant d’enchaîner avec 120 Battements par minute, où je renoue avec l’esprit house, tout en gardant des instruments acoustiques comme la harpe, la clarinette, la flûte. J’ai composé les morceaux club avant le tournage du film et les autres, plus atmosphériques, en cours de montage.
C’est Robin Campillo qui eut l’idée de remixer le tube de Bronski Beat, Smalltown Boy ?
A l’origine, Jimmy Somerville, qui fut un des contributeurs historiques d’Act Up et qui avait organisé un concert de soutien à l’association avec The Communards, devait apparaître dans une scène du film. J’ai pris cette idée de Robin pour Smalltown Boy comme un beau cadeau empoisonné.
Difficile d’imaginer une version club d’un standard des années 1980, tellement typé par son année de production (1984 – ndlr). C’était donc une sacrée gageure. Plutôt que de mettre mes gros pieds dans le plat, j’ai décidé de respecter au mieux la chanson, et je n’ai pas reçu trop de plaintes (sourire).Le remix a d’ailleurs rencontré un certain succès.
Le succès de 120 Battements par minute, et par ricochet de ta bande originale, t’a-t-il surpris ?
Dans une telle aventure humaine et artistique, tu espères toujours rencontrer le public, mais on n’imaginait évidemment pas un tel succès populaire, que ce soit pour le film ou pour la musique. Cela dit, j’avais un bon pressentiment sur le potentiel du scénario, mais le sida n’est pas non plus un sujet facile. Qui aurait pu parier que ce film fasse plus d’un million d’entrées et rafle presque tout aux César ?
Quels souvenirs gardes-tu de la cérémonie ?
J’y suis allé en me disant que j’avais une chance sur cinq de gagner un César. Si c’était à refaire, j’aurais aimé davantage contrôler mes émotions. Le public n’est pas habitué à voir un mec avec une tête de mafieux craquer en direct. Grâce à ce trophée, j’ai évidemment gagné en notoriété, même si je n’ai pas reçu tant de commandes pour le cinéma.
Pour finir, tu prépares actuellement un nouvel album, en écrivant pour la première fois en français.
En effet, c’est plus que jamais d’actualité. Pour les concerts de 120 Battements par minute avec un orchestre, on joue déjà en rappel un morceau inédit en français. C’est un exercice à la fois nouveau et compliqué, mais tellement exaltant. Contrairement à l’album de Zend Avesta, qui m’avait un peu dépassé, il n’y aura pas d’interprètes invités sur le prochain disque. J’en serai le seul chanteur.
Au final, comment résumerais-tu ton parcours discographique depuis 1995 ?
J’ai fait n’importe quoi de ma carrière et je continue encore ! Aujourd’hui, la new-wave et les années 1980 sont revenues à la mode, ce dont je me fiche éperdument. Et quand je mixais D.A.F. au Pulp en 2000, on me traitait de nazi. Etre à contre-courant des mouvements musicaux explique peut-être que je suis encore là.
Concert Arnaud Rebotini & Le Don Van Club jouent 120 Battements par minute, le 14 avril, Cité de la Musique, Paris XIXe
Expo Electro. De Kraftwerk à Daft Punk, jusqu’au 11 août, Cité de la Musique, Paris XIXe
Remerciements au disquaire Born Bad, 11 rue Saint-Sabin, Paris XIe