Ce jeune acteur israélien n’avait jamais tourné avant que Nadav Lapid ne lui propose le premier rôle de son film tourné à Paris, « Synonymes ». Le film a remporté l’Ours d’or au dernier festival de Berlin et ce qui accomplit le jeune comédien y est proprement prodigieux
Que serait Lon Chaney, l’inquiétant acteur transformiste qui hante les contes cauchemardesques de Tod Browning, si il ressuscitait dans la peau et les muscles de Marlon Brando ? A quoi ressemblerait un acteur aussi poétiquement convulsif que Denis Lavant si ses transes possédées et dansées avaient pour foyer la plastique interloquante de l’Alain Delon de Plein soleil ?
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La réponse est Tom Mercier et la question ne se posait pas avant l’apparition (au sens le plus surnaturel du terme) de ce dernier dans le nouveau film de Nadav Lapid, l’important Synonymes. Ce qu’y accomplit le jeune comédien est inoui. Le cinéaste parait s’émerveiller de la malléabilité sans limite, des potentialités burlesques et de l’aura érotique insensée de ce corps. A chaque scène, il invente de nouveaux défis pour, dans un même mouvement, le mettre en difficulté et le mettre en orbite, le rouler dans la boue et l’immaculer.
Tom Mercier est entré dans Synonymes comme un inconnu et en ressort comme une star. Même si sa notoriété n’excède pas les dizaines de milliers de spectateurs du film, même si en dehors de la très belle Une des Cahiers du cinéma, il fait encore peu la couverture des magazines, le film l’invente star, avec l’autorité d’un grand geste de cinéma, probablement le plus beau qu’on puisse voir en ce moment sur les écrans.
du judo au théâtre
Il y a seulement trois ou quatre ans, cet invraisemblable combustible de cinéma n’envisageait pas vraiment d’en faire. Tom était étudiant dans une école de théatre à Tel-Aviv. Il n’avait jamais entendu parler de Nadav Lapid, regardait essentiellement des films américains, et le cinéma lui paraissait être un lieu tellement imprenable, un monde si éloigné, qui l’idée d’en faire ne l’avait jamais traversé. Dans un français à la fois très imagé et pas encore totalement maîtrisé, il nous dit : « Jamais je n’aurais jamais imaginé renaitre dans un film. Pour moi, le cinéma, c’était un monde là-bas, derrière l’écran ». Tout au plus avait-il eu de forts coups de cœur pour quelques films, comme Bronson de Nicolas Winding Refn. « J’adore ce film, nous confie le jeune homme. Mais surtout pour son acteur. Tom Hardy m’impressionne beaucoup ». Le théâtre a donc précédé le cinéma, mais une autre passion avait précédé le théâtre. Ce fut fut le judo, qu’il pratiqua à un assez haut niveau, jusqu’à remporter des victoires aux Maccabiades, ces rencontres sportives juives organisées tous les quatre ans en Israel. « Mais un jour à 18 ans, j’ai jeté violemment mon sac à mes pieds et j’ai dit : ‘J’arrête ! Je ne veux plus’. C’était la fin du lycée pour moi et j’allais bientôt partir à l’armée. Je me suis inscrit à une préparation militaire car je voulais arriver vraiment prêt à mon service militaire. »
Durant cette préparation, les médecins diagnostiquent chez Tom un souci de santé qui lui vaut, bien contre son gré, d’être réformé. Déclaré inapte, il est donc rendu à la vie civile, tandis que tous les garçons et les filles de son âge amorcent un service obligatoire de trois ans. La désillusion est violente. « En même temps, il y a des moments comme ça dans la vie où les chemins s’ouvrent. Je ne pouvais pas faire ce que j’avais prévu, donc il fallait inventer. Dans les unités de combat militaires, tu peux rêver que tu es un héros. Alors, j’ai cherché où dans la vie civile je pouvais être un héros et j’ai trouvé le théâtre. Quand tu joues Sophocle, tu deviens un héros ».
Tom s’inscrit donc dans une école de théâtre. Très vite, il est assailli par toutes sortes d’interrogations : « Je réfléchissais tout le temps à ce que voulait dire pour moi le théâtre. Pourquoi cette envie de mimer la vie ? Pourquoi vouloir se tenir dans la lumière ? ». L’intégration dans la communauté des étudiants ne va pas de soi : « J’étais le plus petit. J’avais 19 ans, je sortais à peine du lycée. J’étais entouré d’étudiants qui eux avaient fait leur service militaire et avaient 23 ou 24 ans. J’avais le sentiment qu’il me manquait des outils. Comme si je manquais d’expérience pour comprendre le monde. Je détestais les autres élèves, parce que je me sentais différent et qu’ils me paraissaient tellement normaux. Et puis peu à peu, j’ai tellement donné qu’en troisième année, j’ai fini par acquérir le respect « .
un roman familial
Ce sentiment d’être différent a un histoire dans la famille Mercier. Son père est né en France dans les années 60, près de Béziers. Tous les hommes de sa famille étaient militaires, certains ont fait l’Indochine, l’Algérie. Le père de Tom est le premier à avoir rompu cette chaine d’homme en uniformes en devenant coiffeur. Quand il avait dix ans, sa mère (la grand-mère de Tom) a choisi d’aller vivre en Israel. L’enfant a eu beaucoup de mal à s’adapter, était raillé à l’école. « Il se faisait casser la figure parce qu’il portait des cartables et des bermudas, comme un petit français de l’époque ». Jeune homme, à 23 ans, il décide de retourner en France, s’est installé dans le quartier Saint-Michel puis « il a fini par retourner en Israel en ayant le sentiment de ne pas avoir trouvé sa place ».
L’itinéraire du père de Tom présente de troublantes similitudes avec son personnage de Yoav dans Synonymes. Mais aussi avec la trajectoire de Tom lui-même, parti à paris à 23 ans pour tourner Synonymes et installé depuis près du canal Saint-Martin. Le déracinement, l’oscillation entre Israel et la France se sont transmis d’une génération à l’autre et se sont prolongés dans une fiction. C’est peut-être toutes ses rimes biographiques qui ont bouleversé Tom lorsque le directeur de son école de théâtre l’a placé sur le casting du film de Nadav Lapid. « Le scénario de Synonymes m’a bouleversé, intrigué, chatouillé, débarbouillé… » lance Tom en improvisant une liste de participes passés pas tout à fait synonymes. « Yoav, c’est moi et c’est pas moi. Je suis entré dans le ring avec beaucoup de respect .
Malgré de fréquents séjours, enfant, dans la famille de son père près de Béziers, le jeune homme ne parlait pas français et a du apprendre un texte fourni et ardu. « J’ai appris le texte très précisément. Même celui de mes partenaires. Je savais tout par cœur. Je voulais être à 120 pour cent de moi. Et je suis tombé amoureux de l’écriture de Nadav, de sa manière de voir le monde. Pour la première fois, je me suis senti l’instrument de quelqu’un. J’étais sa guitare et j’ai adore qu’il joue sur moi et fasse crier son son. J’étais totalement passif, mais ça demande beaucoup d’effort et de travail d’être passif à ce point ». Le travail, c’est ce qui le structure comme acteur – aux antipodes d’une autre conception du jeu, fondée sur la non-préparation et la pure présence. « Moi j’ai besoin d’échauffement. Si le tournage commence à 9h, je me réveille à 5h pour répéter, préparer, chercher ce que je vais proposer. Je suis dyslexique, j’ai du mal à lire, donc je suis habitué à fournir beaucoup plus d’efforts que les autres pour arriver à un résultat. »
Migrations
Le tournage ayant été repoussé plusieurs fois en raison de soucis de financement, la préparation a duré presqu’un an, en Israel. Tom a suivi une préparation de danse, ce qui l’a réjoui. « Toute ma vie, j’ai eu envie de faire de la danse et je n’en avais pas le courage. J’adore Jan Fabre, Angelica Liddell. Mon rêve serait d’être Baryshnikov, avoir une technique parfaite et être en même temps totalement libre ». Il a suivi des cours de français aussi : « Il y avait un secret à trouver dans le rapport de Yoav, mon personnage avec la langue française. Il n’apprend pas le français pour communiquer, mais pour supprimer sa langue natale, l’hébreu, qu’il voit comme le diable. Sur le tournage, moi non plus je ne voulais plus qu’on me parle hébreu. Même quand on me parlait anglais, ça me mettait en colère. Je voulais qu’on ne me parle qu’en français, même si je ne comprenais pas tout. Moi aussi, comme Yoav j’ai quand même un peu fui Israel, parce que je ne me sentais pas accepté, pas dans le rang. »
Après le tournage, Tom est retourné en Israel. Mais a eu envie de revenir vivre en France après deux mois. Pendant quelques mois, tandis que Synonymes trouvait lentement sa forme en table de montage, Tom a vendu des viennoiseries dans une boulangerie, puis servi des glaces sur le canal Saint-Martin. Aujourd’hui, tandis que Synonymes a remporté l’Ours d’or au dernier festival de Berlin, il envisage une carrière en France, au cinéma ou au théâtre. Et ailleurs aussi. Sans vouloir en révéler davantage, il nous apprend que son prochain tournage sera en anglais et à l’étranger. Il regarde désormais beaucoup de films. Des films récents comme C’est ça l’amour de Claire Burger qu’il a adoré. Mais aussi des plus anciens : ceux de Leos Carax qu’il adore, Jean-Pierre Melville, François Truffaut. Souvent sa passion pour un film est intimement liée à son comédien – respectivement Denis Lavant (dont il imite le rire satanique à la perfection), Alain Delon, Jean-Pierre Léaud, trois acteurs qu’il vénère. Il regarde aussi beaucoup d’essais, ceux des comédiens connus qu’on peut trouver sur internet, comme le casting de Jean-Pierre Léaud pour Les 400 coups (dont il reproduit la diction saccadée et la gouaille d’ado de 14 ans également à la perfection). « Voir un essai c’est comme une injection. Ca part directement dans les veines, puis ça monte dans tout le corps. Tu comprends vraiment l’acteur ».
Un de ses films préférés est La maman et la putain. Il adore aussi les films de Bruno Dumont, La vie de Jésus particulièrement, mais aussi ses séries, P’tit Quinquin et Coincoin et les z’inhumains. Et tandis qu’il égrenne la liste des films qu’il a vu, celle de ceux qu’il veut voir, il commente : « Je crois que je suis tombé dans cette maladie très française : la maladie des auteurs ». Il rit, puis rajoute d’un haussement d’épaule : « Mais c’est bien… « .
Dans les poches de Tom Mercier, ce jour-là :
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