Après plusieurs tentatives plutôt décevantes, Marvel semble enfin tenir une prometteuse série de super-héros teen. Avec sa représentation d’une Amérique en crise, son sensible déploiement des névroses adolescentes et sa capacité à réécrire le comics dont elle est l’adaptation, “Cloak and Dagger” est une bonne surprise.
En à peine un an, Marvel aura su marier son inépuisable catalogue à la sauce teen à travers quatre nouvelles séries. Après The Runaways (Marvel/Hulu), The Gifted (Marvel/Fox) et Iron Fist (Marvel/Netflix), voici donc Cloak and Dagger. Diffusée sur Freeform aux Etats-Unis (anciennement ABC Family) et sur Amazon en France, cette série de dix épisodes porte à l’écran un comics assez confidentiel et datant des années 80 : La Cape et l’Epée. Cloak and Dagger sont incarnés par l’égérie Disney Olivia Holt (elle interprète L’Epée) et le newcomer Aubrey Joseph (vraie révélation dans le rôle de La Cape), tandis qu’on retrouve Joe Pokaski (scénariste de plusieurs épisodes de Heroes et de Daredevil) aux manettes du show.
The war on drugs
Le comics nous plongeait dans les aventures romantiques de Tandy Bowen et Tyrone Johnson, deux adolescents sans-abri. Capturés dans les bas-fonds new-yorkais par un savant fou, les tourtereaux deviennent des cobayes dans ses recherches de nouvelles drogues, jusqu’au jour où l’une de ses substances leur confère par accident des super-pouvoirs ; Tyrone a la capacité de générer une étrange substance ténébreuse qui lui permet de se téléporter tandis que Tandy peut faire jaillir des lames brillantes de ses paumes. Si leur super-pouvoir fonctionnent séparément, ils deviennent plus puissants lorsqu’ils s’associent. Ensemble, ils déclarent la guerre au trafiquants de drogue.
L’art du contre-pied
La première réussite de Cloak and Dagger est de complètement se libérer du comics. Son premier déplacement est d’ordre géographique. Au territoire de la capitale américaine surinvesti par le genre super-héroïque, la série substitue le décor de La Nouvelle-Orléans. Si on n’échappe pas aux clichés vaudous faits de cimetière embrumé et d’expérience ésotérique, ce nouvel espace est assez habilement mêlé à la mythologie super-héroïque.
Ce vent de fraîcheur se poursuit dans un renversement des origines sociales des deux personnages principaux. Dans le comics, Tyrone rentrait dans le stéréotype du petit Black voleur tandis que Tandy était une fille de bonne famille abandonnée par sa mère. Ici, c’est quasiment l’inverse. Si Tandy a toujours de sérieux problèmes à régler avec sa mère, c’est elle qui vit de menus larcins tandis que Tyrone, qui n’a rien d’un sans-abri, est celui qui vient d’une famille aisée.
La façon dont ils acquièrent leur super-pouvoir est également différente. Le savant fou est remplacé par l’explosion d’une plate-forme pétrochimique. Suite à deux accidents bien distincts, les deux futurs mutants – alors âgés d’à peine 10 ans – sont par hasard présents aux abords de la plate-forme et vont être reliés à jamais par cette explosion. Mais ce n’est que des années plus tard que ce lien surnaturel va se révéler à eux.
Portrait d’une Amérique en crise
En plus de prendre à rebours les clichés sur les Afro-Américains, Cloak and Dagger dresse en creux le constat d’une Amérique troublée. Bavures policières exercées sur la communauté noire, climat de reconstruction post-Katrina, white trash sombrant dans la drogue et la pauvreté, aliénation du travail et déchéance sociale, les Etats-Unis y sont dépeints comme une zone d’une âpreté extrême, un territoire sombre et déclinant. Si Tandy vit dans la rue et vole les rich kids qui tentent d’abuser d’elle, le quotidien de Tyrone ne semble pas beaucoup plus enviable. Au poids d’un deuil familial s’ajoute sur ses épaules celui de la réussite scolaire, sociale et sportive. La série nous donne à voir une société empoisonnée. Ce venin civilisationnel se double et dialogue avec la difficulté d’être au monde inhérente à l’adolescence.
Teenage dream
Là où Cloak and Dagger se démarque des autres shows mêlant super-héros et adolescence, c’est dans son acuité à saisir le mal-être de ses deux personnages principaux. On retrouve les thématiques du récit coming of age (affranchissement par rapport aux parents, recherche de l’amour et découverte de la sexualité) dans un versant assez onirique et résolument psychologique. En cela, Cloak and Dagger se rapproche des excellentes séries Legion et Jessica Jones, dont elle offre une déclinaison plus sucrée, faible en plusieurs endroits (notamment dans une bo indigeste) et à destination d’un public jeune.
De Legion, on retrouve les visions de l’enfance traumatisée et les dimensions parallèles où se détricotent et se matérialisent les angoisses du réel tandis que, de Jessica Jones, on reconnaît cette appréhension du super-pouvoir comme un fardeau introspectif plutôt que comme une puissance à exercer sur autrui. Enfin, l’absence de vrai vilain resserre la série sur l’histoire d’amour contrariée entre les deux adolescents, faisant du super-pouvoir un élan vers l’autre plus qu’un ressort des scènes d’action dont la série a par ailleurs l’audace de presque complément se lester. Intrépide, délicate et malgré son air un peu fade, Cloak and Dagger s’affirme comme la meilleure série de super-ado vue dernièrement.