L’œuvre du photographe français Franck Bohbot est habitée par une vraie esthétique cinématographique. Dans son dernier projet, We are New York Indie Booksellers, réalisé avec l’écrivain Philippe Ungar, l’artiste est allé à la rencontre des propriétaires des librairies indépendantes new-yorkaises, lieux de ralliement et de cohésion sociale, pourtant victimes depuis quelques années de la crise du livre. Capturant avec justesse ces zones de résilience, Franck Bohbot saisit au vol ce monde en fuite pour tenter de le faire perdurer. Rencontre.
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Vos débuts dans la photographie découlent-ils à l’origine d’une forte attraction pour le cinéma ?
Franck Bohbot – Oui complètement. Le fait de pouvoir produire assez rapidement une image, pouvant transmettre un message ou juste une émotion grâce à la photographie est une façon de faire selon moi son « mini cinéma ». Je suis un cinéphile et j’aime capturer des images qui auraient pu être prises sur une scène de film, toujours en suivant mon instinct. J’ai toujours photographié ce que je voulais et les rencontres se sont faites au fur et à mesure sans brûler les étapes.
Cette esthétique cinématographique est particulièrement prégnante dans votre œuvre. On retrouve par moment du Wes Anderson dans l’usage de la couleur et dans l’atmosphère, mais aussi le vocabulaire visuel d’un Gregory Crewdson. Quelles sont vos références artistiques ?
C’est un joli compliment car ce sont deux artistes que j’adore. Wes Anderson et Gregory Crewdson ont une approche de la lumière, de la composition et de la couleur assez phénoménale et très léchée. J’aime cette façon de travailler. Il y a une vraie direction artistique. Je vais plus ou moins dans ce sens, à la seule différence que dans mon cas c’est le sujet qui m’emmène dans son décor et pas l’inverse. Je dois composer sur le moment, c’est assez excitant. Mais je tiens à garder ma propre signature. À l’avenir, j’aimerais adopter une approche plus théâtrale, en composant des décors et des scènes qui se rapprochent plus de la fiction. Pour le moment, j’adopte encore une esthétique documentaire et ce dernier projet en est un exemple concret.
Pourquoi avez-vous pris pour sujet les librairie indépendantes new-yorkaises ? Sont-elles le reflet de l’esprit de la ville ?
Ce projet a été réalisé avec Philippe Ungar avec qui nous avons décidé d’aller à la rencontre de ces libraires, lui, en qualité d’intervieweur et moi de photographe. Le but était de publier un livre sur le sujet et il verra le jour très bientôt. Ces librairies sont à la fois le reflet de leurs clients, de leur quartier et de la ville de New York. Pendant longtemps la ville comptait un très grand nombre de librairies indépendantes. Mais avec l’augmentation du prix des loyers, l’apparition des megastores, le développement de l’achat en ligne ou encore l’apparition du e-book, leur déclin était une suite logique.
Aujourd’hui, on ressent un nouveau dynamisme, il y a une très grande diversité aussi bien des propriétaires que des livres proposés dans leurs librairies. Avec la chute des ventes de livres physiques dans les grandes chaines, les librairies indépendantes sont devenues des lieux de ralliement, de lectures ou de réunions pour tous les passionnés de littérature, et aussi pour un public intéressé par des ouvrages ou des genres moins « mainstream », plus spécialisés : la poésie, la littérature afro-américaine, les histoires pour enfants, les comics, les livres académiques ou encore les romans policiers.
Greenwich Village, Manhattan, 2017
Il y a comme un effet miroir entre ces espaces et leurs propriétaires. Ces librairies nous donnent presque des indices sur leurs personnalités. Etait-ce l’effet recherché ?
C’est intéressant comme question. Oui tout à fait, je pense que les libraires sont très attachés à leurs décorations. Rien n’est vraiment laissé au hasard. Il y a tellement de détails riches en histoires, qui s’accumulent au fil du temps. Ces librairies deviennent de véritables musées, remplis de livres mais pas seulement. Ces espaces sont parsemés de posters, de stickers, de vieux objets, de tirages, de cadres, de produits dérivés, d’antiquités et de souvenirs. Il y a tellement d’éléments qui peuvent attirer notre curiosité. C’est ce qui donne du caractère à ces lieux. C’est toujours intéressant de trouver une corrélation entre le portrait et l’environnement dans lequel évolue la personne. Ici, le décor du propriétaire nous permet de rentrer dans son univers.
Vous vous attaquez souvent dans vos séries photos à un motif, à un sujet spécifique donnant ainsi un aspect sériel à votre travail. On pense à vos séries sur les piscines, sur les artisans ou même les acteurs. Est-ce pour rendre compte d’une diversité, d’une pluralité dans le même ?
Oui, en partie. Quand je choisis le thème d’une série, je montre d’une certaine manière la diversité du monde. Parfois une série est aussi un prétexte pour développer une problématique ou un sous-thème à l’intérieur d’un même projet et m’entraine vers de nouveaux sujets. C’est passionnant, c’est une sorte d’investigation visuelle.
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Ici l’ambition semble encore plus grande. Vouliez-vous capturer un monde en fuite ?
L’objectif était tout d’abord de rendre hommage aux libraires en les mettant en lumière et en les écoutant car il y a, qu’on le veuille ou non, un esprit de survie chez certains d’entre eux. Je capte ce monde en fuite mais aussi le renouveau. Il y a un réel regain d’optimiste chez eux bien qu’ils soient souvent rattrapés par la réalité des chiffres. Dans cette série, je voulais aller plus loin que le simple portrait. Je voulais immortaliser en photographie les différents propriétaires et apporter du sens à ces clichés avec les différents témoignages. Notre livre célèbre les libraires indépendants et j’espère qu’il attirera les lecteurs du monde entier, des plus jeunes au plus âgés.
Crédits du diaporama :
« Otto Pentzler at The Mysterious Bookstore », TriBeCa, Manhattan, 2017
« Toby Cox at Three Lives & Company », West Village, Manhattan, 2017
« Wayne Conti at Mercer Books », Greenwich Village, Manhattan, 2017
« Veronica Liu » – Word Up Community Bookshop
« Peter Miller, Freebird Books, Red Hook », Brooklyn, NY, 2017
« Michael Seidenberg » – Brazenhead Books I
« Matt Winn at Molasses », Bushwick, Brooklyn, 2017
« Maggie Pouncey and Matt Miller at Stories Bookshop », Park Slope, Brooklyn, 2017
« Joseph Koch at Joseph Koch’s Comic Book Warehouse », Sunset Park, Brooklyn, NY, 2017 #3
« Jennifer Fischer, Street Bookseller », St. Marks Place, East Village, Manhattan, 2017
« Ben Lowry, Naomi Hample, Adina Cohen and Judith Lowry at Argosy Bookstore », Upper East Side, Manhattan, 2017 II
« Janifer P. Wilson at Sisters Uptown Bookstore », Harlem, Manhahttan, 2017
« James Drougas at Unoppressive Non-Imperialist Bargain BooksGreenwich Village », Manhattan, 2017
« David Morse at Book RowBushwick », Brooklyn, NY, 2017
« Corey Farach at Bluestockings », Lower East Side, Manhattan, 2017
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