[Journaux de non-confiné·es] Malgré la crise sanitaire, ils et elles sont obligé·es de travailler quotidiennement sans bénéficier du confinement. Ces non-confiné·es prennent la parole. Aujourd’hui, Sylvie*, 52 ans, cadre socio-éducative d’une équipe d’assistant·es sociales dans un hôpital de la Nouvelle-Aquitaine.
Sylvie – “Les journées sont longues, il faut compter au moins 12 heures de présence et du temps supplémentaire le soir pour régler toutes les questions de R.H. Il faut aussi s’assurer que les équipes vont bien, que le stress qui monte n’est pas trop délétère. Et que tout le monde a bien un masque à disposition : les assistant·es sociales hospitalières en ont bien sûr, mais ce n’est pas le cas de celles qui font des services à domicile. C’est pourquoi, depuis 15 jours, je consacre mon temps à porter les patrons réalisés par le CHU de Grenoble et du tissu à des couturières bénévoles qui nous ont proposé leur aide pour confectionner des masques. Bien sûr, ils ne sont pas homologués mais c’est mieux que rien après tout. Et puis ces masques agissent comme des pense-bêtes – il nous rappelle que l’on ne vit pas une journée normale et de ne pas oublier certains réflexes professionnels.
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On vient de vivre deux semaines charnières car l’on n’avait quasiment pas de patient·es atteint·es du Covid-19 mais nous devions nous préparer et réadapter tout le système de fonctionnement de l’hôpital en vue de l’épidémie. Pour cela, il a donc fallu libérer des lits et faire sortir les patient·es en leur trouvant des lieux d’accueil, ou en autorisant des retours à domicile sécurisés quand cela était possible. Nous avons une grosse population de personnes âgées plus ou moins dépendantes, et face à des services d’aides à domicile fermés ou des professionnels pas toujours disponibles, la situation est très difficile. Nous sommes très inquiets car certaines personnes âgées ne sont plus visibles du tout, et nous ne savons pas toujours dans quel état nous allons les retrouver.
Certaines aides à domiciles continuent de leur venir en aide bien sûr, mais tout en ayant cette épée de Damoclès au-dessus de la tête si ces personnes tombent malades ou que leurs enfants ne peuvent plus être gardés.
Des élans de solidarité
Les équipes sont très mobilisées, mais c’est très compliqué, car l’on doit s’adapter à la situation qui évolue au jour le jour : entre les services qui ferment et ceux qui ouvrent, les patient·es qui arrivent ou pas…
Il y a tout de même une grande solidarité qui se crée, plein de gens nous apportent de la nourriture. Une boulangerie nous donne même ses invendus plusieurs fois par semaine. Les soignant·es sont très touché·es, et cela crée des moments quelque peu suspendus de joie et de chaleur.
Les premiers patient·es atteint·es du Covid-19 arrivent depuis 2-3 jours, ce qui est bien dans un sens car cela nous permet d’ajuster les procédures et les protocoles tant que les services ne sont pas encore pleins à craquer. Nous sommes aussi en train d’étudier un autre problème : les familles ne peuvent pas venir rendre visite à leurs proches, et avoir des nouvelles est aussi très compliqué car les soignant·es sont débordé·es et n’ont absolument plus le temps de répondre au téléphone. C’est pourquoi nous sommes en train de réfléchir à une manière de faire passer ces demandes par le service social avec des assistant·es sociales qui seraient dévolues à maintenir ce lien entre les patient·es et l’extra-hospitalier.
Je n’ai pas peur pour ma santé au quotidien. J’ai déjà eu des symptômes au tout début de l’épidémie, mais je ne fais pas partir des personnes à risques. Et je prends bien sûr toutes les précautions nécessaires. A l’hôpital, on est forcément bien informés là-dessus.
Repenser notre rapport à la fonction publique
Le plus dur c’est cette espèce de sensation d’attente : on sait que le virus va arriver mais on ne sait pas quand ni dans quelles proportions. Quand on voit les collègues des autres hôpitaux de l’Est ou de Paris, elles et ils sont totalement sous l’eau. Personne n’a jamais connu une telle situation, on sait que cela risque de nous arriver aussi mais on ne sait pas quand ni dans quelle mesure. Et on ne peut pas anticiper plus que ce que l’on a déjà fait, et que ce dont on a les moyens. Il faut également maintenir la cohésion dans l’équipe et la cohérence dans ce que l’hôpital met en place, tout en n’étant pas encore complètement dans l’action. Mais bon, tout ça paraît encore léger face à ce que vivent les services de réanimation…
On fera les comptes à la fin. Pour l’instant, en ce qui nous concerne, on pense que l’on va avoir un pic mais nettement moins important que dans d’autres pays grâce au confinement. Après, pour tout ce qui concerne l’approvisionnement des masques qui n’étaient pas en stock, cela fait 20 ans que la situation est comme cela. Ce sont aussi les conséquences d’une politique générale menée par un Etat plus que par un gouvernement. J’espère au moins que quand tout sera terminé on pourra re-discuter de certains protocoles. Pour l’instant, nous sommes trop dans l’action pour pouvoir avoir le recul nécessaire.
>> A lire aussi : Bernard Lahire : “La souffrance sociale ne va pas se dissoudre dans une épidémie”
Tout le soutien que les hôpitaux reçoivent c’est super, mais il ne faut pas oublier les caissières et les éboueurs, heureusement qu’on les a. Peut-être qu’il faudra aussi que l’on repense notre rapport au service public, ou en tout cas à des fonctions comme la santé. Applaudir tous les soirs à 20 heures c’est encourageant, mais il faudra que cela soit suivi des faits à long terme.”
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne
Propos recueillis par Fanny Marlier
Retrouvez les épisodes précedents de la série :
Episode 1 : Journal d’une non-confinée : “Nous les caissières, on a l’impression d’être les oubliées”
Episode 2 : Journal d’une éducatrice non-confinée : “Quand on a appris que les écoles fermaient, on s’est dit ‘au secours’!”
Episode 3 : Journal d’une femme de ménage non-confinée : “Les petits travailleurs ont le sentiment d’être abandonnés”
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