[Le monde de demain] L’auteur d’Occident raconte sa vie confinée, pas si différente de celle qu’il mène habituellement, et rêve d’une tombe romantique.
As-tu l’impression de vivre un moment tout à fait inédit ?
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Non… à quelques détails près, ma vie ordinaire continue. Juste un peu plus calme, donc meilleure. Travaillant à la campagne en semi-confinement depuis des années, presque sans contacts avec l’extérieur (sauf les courses à Carrefour) j’écris, je lis et je rêvasse. Les paresseux et les timides se plaisent au confinement, enfant je rêvais d’avoir la scarlatine.
Es-tu confiant quant à la façon dont les pouvoirs publics gèrent la crise ?
Aucune idée, je ne suis pas expert en santé publique. De manière générale je ne porte pas de jugement sur les décisions gouvernementales. La remise en cause de l’autorité ne fait jamais baisser l’arbitraire. Une opinion toutefois : la comparaison faite par le Orésident avec la guerre est révélatrice d’un manque. J’ai cru voir dans ses yeux brillants et sa moue qu’il avait envie d’en découdre comme autrefois Le Père la Victoire. Voilà très longtemps que la dernière guerre mondiale est finie. Ceux d’entre nous qui sont nés en 1945 sont déjà ce que l’on appelait jadis des « vieillards ». Une guerre où l’on donne l’ordre à la population de se planquer est une drôle de guerre. L’absence du combat se fait sentir. Le désir de mort, la prise de risque est naturelle à l’homme… surtout jeune. Je comprends les gens qui ne respectent pas le couvre-feu. Quant à la division du travail, l’injustice entre le prolétariat qui risque d’attraper la maladie et ceux qui restent chez eux comme moi est incontestable. Même si je n’observe aucune trace de colère au supermarché ou dans les rapports avec mon facteur. Les gens se montrent très durs sur internet et très gentils dans la vie. Peut-être ne sont-ce pas les mêmes ? Déjà, pendant les grèves, les cyclistes parisiens pourtant odieux d’ordinaire, les pires fauteurs de troubles incivils que je connaisse, s’étaient calmés. Tout le monde se souriait sous la pluie.
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
Stanislas Nordey : “Changer le regard des pouvoirs publics sur le monde de la santé”
Daniel Cohen : “Cette crise peut être un accélérateur du capitalisme numérique”
Aurélien Bellanger en confinement : “Je m’emmerde atrocement”
Corine Pelluchon : “Il faut avoir le courage d’avoir peur”
Vincent Macaigne : “La crise du coronavirus pose la question de l’individuel et du collectif”
Miossec et le monde d’après le virus : “Le néolibéralisme s’écroule complètement”
Capucine et Simon Johannin : “Que le temps passé en quarantaine nous aide à revoir nos priorités”
As-tu peur de la maladie, sur laquelle on entend des choses très contradictoires ?
Non, je n’ai jamais eu peur de la maladie ni de la mort. Il y a dix ans J’allais me faire opérer du cœur après avoir passé la nuit à me défoncer à la cocaïne et je ne me suis pas réveillé sur le billard. Je suis totalement dénué de craintes à ce point de vue.
Est-ce que la nouvelle disposition de son temps qu’impose le confinement ouvre pour toi des possibilités nouvelles ? Que fais-tu de ce temps de confinement ?
J’ai lu un très joli livre de Maurice Barrès, Une enquête au pays du Levant, parce que je m’intéresse aux derviches tourneurs. Et aussi une intéressante histoire de la musique disco de Shapiro chez Allia (Turn the Beat around). L’évocation des boîtes SM new-yorkaises à l’époque du sida me plaît beaucoup. Tout ça contraste avec les oiseaux qui gazouillent dans mon jardin et le printemps merveilleux qui s’annonce.
Penses-tu que cette crise soit un marqueur historique ? Qu’on ne reviendra pas au monde avant ? Qu’on entre dans une nouvelle séquence ?
Aucune idée. Je suis meilleur prophète en ce qui concerne le passé, comme mon camarade Joseph de Maistre. Si le tourisme pouvait être interdit et les avions supprimés, ça ne me ferait pas de peine. En cela je me sens proche de Greta Thunberg, que je trouve par ailleurs charmante. Je remarque que cette crise du pétrole, cette baisse de la pollution en Chine (momentanée) et l’eugénisme pratiqué par le virus à l’égard des vieillards en plein marasme des retraites tombent juste. Depuis l’incendie de Notre-Dame la providence divine prend de bizarres chemins.
Y a-t-il des enseignements positifs à tirer de cette crise ?
Oui : voyager moins, fuir les bars et les restaurants, se contenter de boire chez soi, avoir moins d’amis, ou alors virtuels sur Instagram, arrêter de s’embrasser (surtout entre hommes, c’est ridicule). Peut-être revoir aussi d’un œil sanitaire les soins capillaires, interdire la barbe (à mon avis porteuse de virus) comme en Albanie à l’époque d’Enver Hodja…
>> Lire aussi : « Occident, le projet de longue haleine de Simon Liberati »
Comment imagines-tu le monde d’après ?
Pire, forcément. Tout n’a fait que se dégrader depuis mes 14 ans, époque de la première crise pétrolière. Je me souviens encore de Saint-Tropez l’été après la mort de Pompidou… à l’époque, c’était divin, les filles conduisaient des trail bikes sans casque, il y avait des voitures sublimes, mes copines avaient des posters de David Hamilton dans leur chambre. C’était aussi l’époque d’une teinture de cheveux extraordinaire blond gris (celle de Faye Dunaway dans Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schaztberg…). La mode n’était pas encore aux couples avec enfants et les gays s’appelaient des folles…
Qu’en espères-tu ?
De l’avenir ? Rien du tout. Si : une belle tombe romantique comme celle de Keats au cimetière protestant de Rome (près du gigolo nihiliste Denham Fouts). Dans mon prochain livre, mon héroïne pisse dessus… Etant catholique, le cimetière en face de chez moi, près de l’abbaye cistercienne en ruines de mon voisin, me plaît beaucoup.
Dernier ouvrage paru : Occident (Grasset)
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