Après l’agression d’une personne transgenre dimanche 31 mars à Paris, Giovanna Rincon, de l’association Acceptess T, analyse la situation des personnes trans aujourd’hui en France.
Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess T, une association de défense des droits des personnes transgenres, revient sur l’agression transphobe qui a eu lieu dimanche 31 mars dernier, place de la République, en marge d’une manifestation. La vidéo de l’agression est devenue virale sur les réseaux sociaux et une enquête a été ouverte.
Comment réagissez-vous à l’agression transphobe de dimanche dernier ?
Giovanna Rincon – Je suis très indignée. Dans notre pays, en 2019, certains se donnent toujours le droit d’agresser et de mépriser une femme à cause de son apparence qui serait discordante par rapport aux normes préétablies pour les femmes. Et ça, face à l’inertie presque totale des passants. Je trouve ça insupportable que n’importe quelle personne soit confrontée à cette peur. Il faut maintenant rompre le silence, et briser une fois pour toute cette invisibilisation et cette normalisation de la transphobie.
Vous parlez de normalisation, les agressions transphobes sont des phénomènes courants ?
Très peu d’études ont été menées pour comprendre quelle est la réalité des personnes trans. Mais dans une étude de IDAHO de 2014, on apprend que 85% personnes interviewées avaient été victimes de discrimination dans divers lieux de la vie courante et dans les institutions. Près de 95% d’entre eux n’avaient jamais porté plainte lors des violences. Ce qui démontre à quel point la transphobie s’est normalisée, même pour les personnes trans, et à quelle point la violence et la peur se sont installées dans leur quotidien. Tant qu’on ne parlera des personnes trans qu’à travers une exotisation, une fétichisation, ou en ne les présentant que sous cet angle, effectivement la société sera toujours indifférente à cette question-là. Les gens ne sont pas tous transphobes ; mais cette indifférence, due au manque du courage du gouvernement et des politiques, mène à une désocialisation.
Nous avons peu l’habitude de voir un événement transphobe si médiatisé… Comment regardez-vous cette médiatisation ?
Dans ce cas précis, on peut remercier les réseaux sociaux de pouvoir créer un “effet de meute” positif. C’est important de saluer la prise de position des responsables politiques dans ces moments d’indignation. Mais il faut lui rappeler que la transphobie n’a pas deux visages. Je félicite donc Marlène Schiappa [Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discrimination, ndlr] qui n’a pas attendu pour condamner cette agression, mais je tiens à lui rappeler qu’on attend la même chose pour d’autres. Par exemple quand Vanessa Campos a été assassinée l’année dernière, il a fallu attendre une semaine pour un message s’adressant à sa famille. On ne peut pas défendre la transphobie au cas par cas. Il faut la défendre dans son ensemble, à commencer par ceux qui sont les plus fragilisés par d’autres facteurs multiples (couleur de peau, classe sociale, travailleurs du sexe). Moins l’on fait attention à ces personnes, plus elles seront vulnérables.
Quelle est la situation des personnes trans aujourd’hui en France ?
Les meurtres et les agressions ne sont pas les seules violences qui s’expriment contre les personnes transgenres. Il existe aussi une violence institutionnelle. Les politiques devraient avoir le courage de questionner la transphobie des institutions; celle qui impose de passer devant un juge, alors que l’on n’a commis aucun délit. Pour changer d’état civil, les personnes trans doivent encore apporter des preuves qui découlent de la transphobie elles-mêmes [démontrer “par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification” , ndlr]. C’est une infantilisation. Le gouvernement doit réaliser que la transphobie vient aussi de la loi et des institutions elles-mêmes.
Quelles sont les solutions à apporter ?
Il faut arrêter les mythes et les légendes et respecter que l’existence des personnes trans n’est pas un effet de modernité. Une humanisation du parcours des personnes trans dans son ensemble est nécessaire. Par exemple, dans son droit à s’autodéterminer pour obtenir un changement d’état civil libre et gratuit. Et surtout, derrière tout ça, il y a la pédagogie. Il faudrait d’abord une cellule spécialisée dans chaque établissement scolaire pour accompagner et informer. Après le gouvernement va devoir réfléchir à des propositions pour lutter concrètement contre la pauvreté de ces populations. L’urgence, maintenant, n’est pas seulement de dénoncer ce qui vient de se passer – cette agression est un acte qui matérialise une indifférence générale – mais l’Etat doit se demander pourquoi jusqu’à présent, rien n’a été fait sur ces questions tellement importantes.
Agression verbale et physique #transphobe place de la République à Paris. Effet de meute insupportable contre cette personne. Nous adressons tout notre soutien à la victime. Les auteurs de ces actes doivent être sanctionnés. Cc: @Lyes_Alouane https://t.co/Kz1aCPvcuk
— SOS homophobie (@SOShomophobie) April 2, 2019