Malgré son récit soigné et sa représentation saisissante d’une ville de Londres frappée, en 1918, par une double épidémie de grippe espagnole et de vampirisme, la nouvelle création du studio parisien Dontnod (“Life is Strange”) déçoit. En cause : une soumission sans doute excessive aux conventions du jeu de rôle.
Malheureusement, Vampyr est un jeu vidéo. On exagère, mais il y a un peu de ça dans la déception suscitée par le nouveau jeu du studio parisien Dontnod, responsable auparavant de l’inégal mais passionnant Remember Me (au scénario signé Alain Damasio) et du fabuleux Life is Strange qui fut, entre autres choses, notre jeu de l’année 2015. De l’ambitieux Vampyr (avec un “y“, comme chez Dreyer), on attendait beaucoup, en raison du CV de ses créateurs, donc, mais aussi de son univers, de son concept et plus généralement de sa promesse de nous envoyer explorer des recoin obscurs – ceux du Londres de 1918 dévasté par la grippe espagnole et, surtout, de l’âme humaine. Sauf que pas tout à fait. Mais reprenons les choses au début.
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Sauver ou saigner ?
Nous sommes le docteur Jonathan Reid, grand chirurgien et pionnier de la transfusion sanguine qui, à son retour des tranchées de la Première Guerre mondiale, se découvre un petit problème : suite à un événement dont il a tout oublié, notre homme est devenu un vampire assoiffé de sang, ce qui n’est a priori pas très compatible avec sa vocation de médecin. Sauver ou saigner ? Jouer les bons Samaritains auprès des habitants mal en point de la capitale britannique au risque de dépérir faute de sang frais ou leur sauter joyeusement à la gorge pour se nourrir (et, accessoirement, gagner des points d’expérience qui faciliteront notre progression dans l’aventure) ? Tel est le dilemme sur lequel repose en théorie Vampyr. Le jeu ne s’adresse donc pas qu’à notre dextérité ou à notre sens tactique mais aussi à notre conscience. Si tout se passe bien, on devrait se sentir régulièrement assez mal, pour ne pas dire franchement coupable, un peu comme après avoir assassiné les merveilleuses créatures de Shadow of the Colossus, disons. Ou comme face à certains choix du jeu The Walking Dead ou du récent Detroit : Become Human. On devrait.
Dans une certaine mesure, tout jeu vidéo est un jeu de rôle en ce qu’il nous demande de nous mettre à la place de quelqu’un d’autre (ou de quelque chose, ne soyons pas sectaire). De tenir son rôle, en somme. Mais Vampyr ne s’arrête pas là : il veut aussi être un “jeu de rôle” avec tout ce qu’implique traditionnellement le genre. Des points d’expérience, donc, et des montées de niveau. De la gestion de compétences et d’armement. A nous, ici, la brume de ténèbres et la lance de sang, la morsure bestiale et, chouette, voilà que notre fonction de régénération rapide progresse de 10%. Dans Vampyr, il y a aussi beaucoup de quêtes, dont certaines sont obligatoires pour avancer dans l’histoire et d’autres facultatives. Et puis des combats, plein de combats, parce qu’étrangement, alors qu’on passe notre temps à bavarder avec de nombreux Londoniens auxquels les auteurs du jeu ont fait don d’un nom et d’une personnalité – ces micro-récits incarnés sont l’un des points forts de Vampyr –, il y en d’autres, en armes et anonymes, qui se jettent sur nous sans sommation après avoir immédiatement deviné notre nature vampirique. Alors on les cogne sans pitié ni remords en leur pompant au passage un peu de sang (qui sera toujours meilleur que celui des rats grouillant dans la ville ravagée). Mais pourquoi, aux yeux de notre héros, ces humains-là auraient-ils moins de valeur que les autres ?
Les pièces du puzzle s’assemblent mal
Cet exemple criant de dissonance ludo-narrative, c’est-à-dire d’écart entre ce que raconte le jeu (le docteur Reid est écartelé entre ses nouveaux instincts et ses principes moraux) et ce qu’il nous oblige à faire (massacrer sans se retourner), est symptomatique de ce dont souffre Vampyr. Des titres aussi importants que GTA IV ou Uncharted se sont relevés d’incohérences similaires, mais le dernier né de Dontnod, lui, s’enlise, dans sa soumission aux convention du jeu de rôle. Les rouages de ses mécaniques ressortent et crissent constamment. Ses personnages se posent devant nous comme autant de pantins radoteurs moyennement articulés. Même l’ambiance sombre à souhait, les décors merveilleusement déliquescents et la musique (très réussie) ne parviennent pas à sauver l’ensemble. Les pièces du puzzle s’assemblent mal. D’ailleurs, impossible d’oublier que c’est un puzzle.
On est sans doute un peu dur. Vampyr n’est pas affreux : plutôt bien écrit, il se visite même avec un certain plaisir. Mais la comparaison avec le précédent titre de Dontnod est cruelle pour lui. A l’image de ses héroïnes adolescentes, Life is Strange osait déjouer les attentes, en faire moins plutôt que plus et prendre son temps pour aller là où on ne l’imaginait pas. Cette audace et ce sens du contre-pied sont précisément ce qui manque à Vampyr qui, lui, est un jeu bien plein, appliqué et sérieux. On l’aurait sans doute préféré monstrueux.
Vampyr (Dontnod / Focus Home Interactive), sur PS4, Xbox One et PC, de 50 à 60€
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