Comment l’avionneur français se plie en quatre pour permettre à ses clients les plus fortunés d’échapper à la TVA lorsqu’ils s’achètent un jet privé. Édifiant.
Vous avez de l’argent, beaucoup d’argent. Alors vous décidez d’en investir une partie dans un jet privé. Normal, les avantages sont nombreux : vous allez où vous voulez, quand vous voulez ; vous ne faites plus la queue à l’aéroport ; vous avez, à l’intérieur, tout le confort nécessaire à un long voyage. Bon, au passage, tant pis pour l’environnement. Oui mais voilà, un jet privé coûte encore relativement cher et, en plus, il faut vous acquitter de la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA, c’est à dire 20 % du prix initial.
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Tout ça, c’est terminé. Grace à l’avionneur français Dassault, vous pourrez échapper à la taxe sur la consommation. C’est l’une des découvertes du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) qui ont commencé à publier une partie de leur travail concernant les « Paradise papers ». Une manne de près de 13,5 millions de documents issus d’une importante fuite du cabinet d’avocats Appleby, spécialisé dans l’exonération fiscale dont le siège se trouve sur l’archipel des Bermudes.
18,5 millions d’économies sur la TVA
Pour comprendre comment ce tour de passe-passe est possible, prenons un cas concret. Oleg Tinkoff est un riche d’homme d’affaires russe. En 2013, il s’offre un Falcon 2000LX (coût : 28 millions de dollars). Un an plus tard, il le revend pour le modèle au-dessus, le 900LX (coût : 38 millions de dollars. Sa folie gourmande ne s’arrête pas pour autant : il s’achète aussi un 7X en 2016 (coût 48 millions de dollars). A aucun moment, M. Tinkoff ne s’acquitte de la TVA, ce qui lui permet d’économiser 18,5 millions de dollars.
Pour ce faire, l’homme d’affaires a fait appel aux conseils du cabinet suisse Meyer Avocats, des bureaux mannois d’Appleby et d’Ernst & Young et à la bienveillance de Dassault Aviation. Ces initiés profitent de la légèreté, voire la complicité, des autorités de l’île de Man, petit caillou coincé entre l’Irlande et l’Ecosse.
Il se loue l’avion à lui-même
Pour acheter son premier jet, Oleg Tinkoff crée une société domiciliée sur l’île de Man, Stark Limited. Elle lui sert pour la procédure d’immatriculation du jet dans l’Union européenne, qui doit avoir lieu auprès des services douaniers mannois. Pourtant, la société Stark demande le remboursement immédiat des 4,1 millions d’euros de TVA (pour le Falcon 2000LX à 28 millions de dollars) qu’elle aurait dû payer, expliquant que ce jet n’est pas à usage personnel mais professionnel (et l’on peut donc récupérer la TVA). Le jet d’Oleg Tinkoff est donc loué pour cinq ans (à 3 500 euros l’heure de vol) à une autre société, Moonfields Trading, enregistrée sur les îles Vierges britanniques. Vous l’aurez deviné, cette société appartient également à l’homme d’affaires russe, qui se loue donc lui-même son avion, et évite ainsi de régler la douloureuse.
Des investigations ont ainsi été menées par Le Monde et Cash Investigation pour mettre en lumière cette inquiétante dérive. D’après les documents examinés par ces médias, il apparaît que « Dassault a non seulement bien eu connaissance des montages utilisés mais qu’il y a joué un rôle actif« , rappelle le quotidien. Preuve irréfutable : sur les factures produites par l’entreprise française, aucune TVA n’est mentionnée. A la place figure la mention : « Exonéré de TVA en vertu de l’article 262 ter – 1 du code général des impôts français« .
Le « contexte de crise financière »
Comme on peut le lire dans l’article détaille du Monde ou le voir dans le reportage de Cash Investigation, le cas de M. Tinkoff est loin d’être isolé. D’après les documents d’Appleby, Dassault est concerné par au moins deux autres ventes. De plus, entre 2009 et 2012, Dassault a ouvert des filiales éphémères à l’île de Man pour vendre des Falcon (l’avion star de la marque) directement. La société assure simplement que ces montages ont été mis en place « pour répondre aux besoins de financement de clients dans un contexte de crise financière« . Vous apprécierez l’ironie.
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