Arpentant l’East Village, l’écrivaine explore ses souvenirs et ce qui a fait l’originalité du monde artistique new-yorkais des seventies.
En 1976, Chantal Thomas suit le séminaire de Roland Barthes et, l’été arrivant, soutient une thèse sur Sade. « Mon billet d’avion était glissé dans la chemise avec les quelques notes pour défendre mon projet. » Car elle est décidée à partir sur le champ pour New York, et atterrit par hasard dans ce qu’on commence à appeler l’East Village.
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Elle y reste. En 2017, l’auteure de L’Echange des princesses séjourne dans ce lieu où elle a vécu quarante ans plus tôt, à la recherche de traces du passé. Contrairement à ce qu’on pourrait prévoir, ce texte n’est pas pétri de nostalgie. Il s’agit plutôt d’une exploration. L’historienne réfléchit à ce que le New York des années 1970 a transformé et construit en elle.
East Village, pépinière d’artistes
« Si la vie est un festin, rien ne permet de prévoir combien de temps pour nous la table sera mise. » Chantal Thomas étudiante se jette à corps perdu dans l’East Village. A l’époque, le coin était dangereux, habité par une population très pauvre. Mais depuis quelques années des artistes bohèmes s’y installent en quête de logements abordables.
Ce mélange de populations et cet espace en mutation, Thomas s’en souvient parfaitement et le décrypte. Ici s’organise une façon de vivre et surtout de penser la création artistique, comme dans une pépinière.
« Je me levais pour danser un slow, les yeux clos, joue contre joue, je laissais le désir me gagner »
On suit la jeune étudiante dans ses découvertes, elle nous fait visiter le Bonnie and Clyde’s, une boîte lesbienne. Elle compare avec les lieux qu’elle fréquentait l’année précédente à Paris, et la différence est saisissante. Elle se souvient en particulier du Katmandou, rue du Vieux-Colombier, et sa clientèle chic :
« Troublée par la vision des femmes en train de se caresser, de s’embrasser, nous n’en débattions pas moins avec fièvre sur Lacan, Deleuze, Bataille. Ou plutôt, notre émoi ne faisait pas vraiment la différence. L’éclat du concept me rendait plus sensible à la douceur des lèvres.
Je me levais pour danser un slow, les yeux clos, joue contre joue, je laissais le désir me gagner. » Au Bonnie and Clyde’s, où fréquenter une boîte lesbienne est « un geste politique », autre ambiance : « Je fus prise dans une tempête, emportée par une force des corps, un mélange de heurts et de fusions, seins, ventre, hanches, parfums et sueurs. »
Entre souvenirs et photographies
Peu à peu, des visages émergent, comme ceux des poètes de la Beat Generation ou Andy Warhol. La romancière se souvient du Chelsea Hotel, lieu devenu mythique et où ont vécu, entre autres, Patti Smith et Robert Mapplethorpe.
Thomas fait surgir des anecdotes, reconstruit l’historique, là encore isole les spécificités de cette époque, et pointe une différence avec la vie parisienne : « A la discrétion du geste européen d’écrire à la main – une caresse sur le papier –, les Américains opposaient le crépitement de la machine à écrire. Ils tapaient comme des forcenés. »
Mais le quartier désormais est la proie des promoteurs. Chantal Thomas nous y conduit pas à pas, et les photographies de graffitis signées Allen S. Weiss, qui illustrent le livre, l’accompagnent dans sa déambulation.
East Village Blues (Fiction et Cie/Seuil), avec les photographies d’Allen S. Weiss, 208 p., 21 €
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