Le plus important festival de spectacle vivant d’Amérique du Nord, le Festival Trans Amérique, s’achève sur un bilan qui n’a d’égal que la qualité et la variété de sa programmation.
International, le FTA réunit des artistes aux esthétiques aussi singulières que bigarrées, comme Ivo Van Hove et ses Kings of War que l’on a pu récemment voir au Théâtre national de Chaillot qui a, sans surprise, rencontré un véritable succès – c’est qu’Ivo van Hove sait y faire en terme de production internationale bien huilée –, mais aussi la nouvelle coqueluche de la danse contemporaine chinoise, le chorégraphe Tao Ye.
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Avec And So You See… Our Honorable Blue Sky and Ever Enduring Sun… Can Only Be Consumed Slice by Slice…, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin compose quant à elle une épique cérémonie païenne. Dans ce magnifique solo consacré à Albert Khoza, performeur et guérisseur sud- africain à l’identité solaire défiant toutes les questions de genre, Robyn Orlin règle ses comptes avec une humanité en déshérence dont elle ne peut faire le deuil de l’espoir dont elle sait aussi être porteuse. Nubian Queen, party girl osant un pas de deux avec Poutine, ogre, maître es bondage, tribun tribal, Albert Khoza est un roi tribalqueen menant, sur le Requiem de Mozart, des guerres généreuses et outrancières, joyeuses et indiciaires comme autant d’odes à la liberté de corps, à la liberté d’expression et à la mise à bas du colonialisme dans ses anciennes et nouvelles formes. La danse comme art pacifique de la guerre.
Autre artiste et non des moindres, distingué par le Festival Trans Amérique, le Français Gurshad Shahehan qui, avec Pourama Pourama, dresse le récit intime d’une histoire entre l’Iran et la France, d’une enfance et d’une adolescence, d’une éducation, de la norme imposée, intégrée et des tentatives ensuite de déconstruction d’une histoire personnelle, historique et sociale pour se découvrir soi-même. Pour trouver sa place. Et il l’a trouvée sa place, puisqu’on le retrouvera en juillet prochain au Festival d’Avignon avec sa nouvelle création Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du Prophète.
Bien qu’international, le festival laisse la part belle à la création contemporaine québécoise qui, à son image, est traversée par des esthétiques très singulières et des tentatives de dire le monde d’aujourd’hui avec acuité. Ainsi, la très surprenante et intense création de Lara Kramer, chorégraphe et artiste multidisciplinaire d’origine métissée ojie-crie et menonnite, qui, avec Windigo, métaphorise la réalité de l’ancien pensionnat autochtone Pelican Falls, à Sioux Lookout, en Ontario, où ont été envoyés de force trois générations de sa famille afin d’être “éduquées”.
Sur scène, trois interprètes masculins, chacun flanqué d’un matelas, mènent une errance doublement carcérale, chacun isolé des autres, confiné à son propre espace, s’y enfermant progressivement, créant un monde à soi, sous forme de repli, jusqu’à se fondre, totalement, tragiquement, dans la matière. D’une grande sobriété, d’une intense vulnérabilité, le travail délicat de Lara Kramer pour dire avec justesse les traumatismes profonds qui imprègnent l’histoire de son peuple dépasse avec art ce seul cadre pour dire aussi l’infinie solitude et finitude de l’être.
Beaucoup moins convaincante en revanche, la metteuse en scène ayant pignon sur rue, Marie Brassard, s’est emparée d’un texte d’Evelyne de la Chenelière aux fulgurances lyriques réjouissantes. A la beauté inventive de La Vie utile, une variation mémorative des événements de la vie au moment où la narratrice est aux confins de l’existence, la metteuse en scène, dite pourtant iconoclaste et inspirée, ne l’a cette fois-ci du moins pas été, car sa mise en scène superfétatoire et kitsch dans une scénographie toute de réalisme bourgeois confine au drame psychologique et mélodramatique un texte qui aurait sans aucun doute mérité plus d’épure et d’attention.
Au moins, le metteur en scène Martin Faucher et sa comédienne Markita Boies – merveilleuse actrice – ne jettent pas un mauvais sort à l’auteur poète Réjean Ducharme qu’ils célèbrent dans une (trop) courte lecture-spectacle, toute de réjouissance, de l’œuvre Le Lactume. Méconnu en France, même s’il fut le premier auteur québécois a y être publié par Gallimard, Réjean Ducharme, récemment décédé, est un auteur majeur de la littérature canadienne que célèbrent, à l’instar de l’œuvre, avec poésie, tendresse, invention, décalage et une certaine petite ivresse joyeuse de la pensée Markita Boies et Martin Faucher.
A eux le “prix Nobel de la désinvolture”, comme dirait leur auteur, au FTA les prix de la diversité, de la curiosité et de l’acuité contemporaine.
Festival Trans Amériques, compte-rendu.
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