“Le Livre d’image”, dernier long métrage de Godard, inédit en salle et Palme d’or spéciale au dernier Festival de Cannes, sera diffusé sur Arte dans le cadre d’une soirée dédiée au cinéaste.
D’abord, cette voix sépulcrale. La voix de Godard, la voix d’un sage fou aux allures de Cassandre. Cette voix venue de loin qui essaie de trouver son chemin dans le noir du temps. Pas une voix pour nous guider, pas pour nous égarer non plus, plutôt pour nous sidérer, ou nous laisser à penser.
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Cette voix solitaire n’est pas seule. Loin de là. Elle est même environnée d’autres voix, mais surtout de sons et d’images qui saturent l’espace-temps du film, Le Livre d’image. Un livre d’image ? Oui au sens où, comme toujours et comme jamais, Godard fait de la littérature avec des images et des sons, c’est-à-dire du pur cinéma.
Un cinéma à voir et à entendre, mais surtout à montrer, ou plutôt à monter, voire à mixer. Montage/mixage, les maîtres mots de Godard depuis bientôt soixante ans, qui trouvent ici, encore une fois, une forme flamboyante et funèbre mais surtout incroyablement stimulante.
https://www.youtube.com/watch?v=4wwyXcdMJzo
L’entrechoquement d’une image avec un son, une voix, une autre image
Le principe du Livre d’image est archéologique et contrapuntique, au sens musical du terme. C’est l’entrechoquement d’une image avec un son, une voix, une autre image qui crée une étincelle de pensée, de beauté, de forme. Ces petits chocs sont parfois guidés par la contradiction mais pas systématiquement. Souvent, ce sont plutôt des échos, des associations, des rimes ou des remakes comme dit Godard.
Un exemple : l’écho de Johnny Guitare qui traverse Le Petit Soldat. Un autre : Vertigo, une histoire de double, qui se rejoue dans Hélas pour moi. Des traits comme celui-ci ou celui-là, il y en a tout le temps dans Le Livre d’image. Et pas seulement des traits qui nous renvoient au cinéma, mais qui nous propulsent en plein cœur de l’Histoire et de sa dimension tragique.
Immerger dans les bruits d’une guerre perpétuelle
Car il est ici beaucoup question de la guerre. Comme si Godard nous plongeait au beau milieu d’une menace qui rôde ou plutôt qui est là, toujours là, active comme un volcan aux éruptions fréquentes. Comme s’il nous immergeait dans les bruits d’une guerre perpétuelle qui prend des tours insurrectionnels, révolutionnaires, obscènes ou barbares.
Dans Le Livre d’image, la guerre c’est Cocteau transpercé par la lance des Nibelungen. C’est le texte de Joseph de Maistre Les Soirées de Saint-Pétersbourg. C’est Sarajevo. C’est Ivan le Terrible. C’est 1848. C’est Les Carabiniers. C’est le nihilisme. C’est l’apocalypse. C’est Al-Jazeera. C’est la destruction de la planète. C’est la grève générale. C’est la désobéissance civile. C’est aussi l’amour des vaincus. Le tout traduit en éclairs fulgurants qui viennent sans arrêt zébrer ce Livre d’image.
L’art c’est la fée électricité
Mais l’art est bien là, tout de même. L’art qui, chez Godard, ne peut se séparer de la guerre. Qui est partout chez lui, ici et ailleurs. Qui, selon la phrase du cinéaste Hollis Frampton – cité par JLG dans son film –, “est la seule chose qui survive à une époque”.
L’art qui, chez Godard, cinéaste à la fois iconophile et iconoclaste, se joue dans un cycle permanent de destruction et de (re)construction. Dans Histoire(s) du cinéma, Godard se rapprochait de Malraux et de son Musée imaginaire.
Ici, dans Le Livre d’image, l’art c’est la fée électricité, plus vraiment un travail de mémoire ou de résurrection mais surtout une inépuisable source d’énergie. Le Livre d’image ne célèbre pas le souvenir de l’art : il est l’art en personne, son incarnation même.
Un art infiniment contemporain, sans équivalent, si ce n’est, à l’autre extrémité du cinéma, et par des moyens radicalement différents, Twin Peaks: The Return. Comme si Lynch était notre Hitchcock et Godard notre Rossellini.
Un film qu’on aimerait toucher
A la fin, le plus dur reste à faire : décrire l’intense plaisir que procure ce Livre d’image. Un plaisir très physique, comme souvent chez Godard, qu’on a trop taxé de cinéaste intellectuel, alors qu’au fond, il y a quelque chose chez lui de profondément tactile.
D’ailleurs, s’appropriant les mots de Denis de Rougemont, Godard, dès le début de son film, parle de “penser avec les mains”. Avec ses mains donc, il malaxe, il mélange, il compose, il décompose, il recompose, il peint, il fait de la musique, pratique le chamanisme, la sorcellerie, l’alchimie, fait surgir, au milieu des décombres, des lueurs de beauté, des éclairs de pensée, des formes inconcevables.
C’est ça Le Livre d’image : un film qui nous touche mais surtout un film qu’on aimerait toucher, qui donne envie de mettre la main à la pâte, comme l’expression d’une puissance contagieuse. Un film-essai qui nous transforme. Un essai transformé donc.
Le Livre d’image de Jean-Luc Godard, mercredi 24 avril à 22 h 25 sur Arte, et disponible gratuitement sur Arte.tv jusqu’au 22 juin
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