[Le journal de confinement de la rédaction] Chaque jour, un·e journaliste des Inrocks vous raconte son confinement. Aujourd’hui, Nelly Kaprièlian évoque, depuis Londres, son amour pour les Monty Python et l’inquiétante nonchalance de Boris Johson face au coronavirus.
Depuis une semaine, alors qu’en France vous vivez confiné·es, autant dire à l’abri, moi je risque ma peau tous les jours en sortant mon chien. Encore que je ne suis pas sûre que ce soit un chien. On a décidé de l’appeler comme ça avec la famille (qui vit à Londres, donc, où j’ai donc décidé de rester) parce que c’était plus pratique, ou parce qu’on manquait de vocabulaire. Parfois il pousse des petits cris de Gremlin, parfois ses oreilles pointues se rabattent à l’horizontal de chaque côté de son minuscule crâne comme Baby Yoda…
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Ca me fait penser à une nouvelle de l’excellente Shirley Jackson, dans le recueil La Loterie. Tiens, à l’heure des recommandations de lectures tous azimuts, je vous conseille ardemment les nouvelles de cette reine du roman d’horreur : elles explorent toutes ce que Freud a appelé le sentiment d’étrangeté (pour celles et ceux qui sont perdu·es, pas de panique : je vais revenir aux Anglais, et à ce qui nous occupe, le confinement). Comment la banalité du quotidien peut se teinter d’absurde, d’angoisse, peut glisser dans le fantastique. Bref, exactement ce qui est en train de nous arriver.
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Dans l’une des nouvelles, une femme se retrouve à vivre longtemps avec un petit chien, si longtemps qu’il vieillit et tombe malade. Chez le vétérinaire, alors qu’elle sort le chien de son panier, elle le supplie d’en prendre soin. Et le vétérinaire de déclarer : “Mais madame, ceci n’est pas un chien.”
Je ne suis pas sûre que ce que je promène au bout de la laisse soit un chien, mais ici tout le monde s’en fout. En fait, ce que les Anglais ont prouvé depuis dix jours, c’est qu’ils s’en foutent – le virus ne semble pas être leur affaire, c’est celle du continent, dont ils ont tant souhaité se débarrasser…
Ça se rassemble en groupes dans les parcs, et ça jogge dans tous les sens en crachant leurs poumons sur vous, et ça continue à retrouver des copains au pub, à faire la queue juste derrière vous, à vous frôler dans la rue en parlant dans leurs portables. Imaginez le nombre astronomique de postillons. Jusqu’à lundi soir et l’ultime discours de Boris Johnson, tout était encore ouvert malgré l’appel du gouvernement à fermer. Même la chaîne Prêt-à-manger s’en foutait de notre santé ou de celle de ses employé·es.
Les Anglais, inventeurs du cool
J’aime pourtant l’Angleterre. La Grande-Bretagne a toujours représenté, pour moi, une utopie : le cool est une invention anglaise. Rien de plus cool que Patrick McNee et Diana Rigg dans Chapeau melon et bottes de cuir, que David Hemmings dans Blow up, que les photos du swinging London prises par Bailey, que London Calling de The Clash, que les fringues punk de Vivienne Westwood…
Sauf que cool veut dire aussi froid – et ici, le détachement actuel frôle la froideur. La différence de ton entre les allocutions d’Emmanuel Macron et de celles Boris Johnson est frappante. Surtout celle de lundi dernier, où il en aura enfin appelé à la fermeture des lieux non nécessaires. C’est la voix tremblante, presque suppliante, qu’il a redemandé aux Anglais de bien vouloir rester chez eux. Comme s’il leur demandait une faveur. Comme s’il lui fallait s’excuser de prononcer certains mots qui fâchent.
Ça me fait penser aux Chevaliers du “Ni” dans Monty Python : Sacré Graal !, qui ne supportent pas qu’on leur dise un certain mot et se tordent de douleur dès que le Roi Arthur le prononce (sans savoir exactement duquel il s’agit). Tiens, ça aussi, c’est un conseil pour mieux vivre le confinement : découvrez ou revoyez tous les Monty Python. D’ailleurs, ce soir, je me ferais bien Le Sens de la vie. Pas vous ?
Soyons justes, le speech de Johnson a dû porter ses fruits car il y avait beaucoup moins de monde dans les rues hier. De toute façon, j’ai préféré emmener mon chien (disons…) courir dans un terrain vague à Brixton plutôt que dans un parc, qui me fait maintenant l’effet du village des damnés, avec tous ces petits enfants blonds qui vous courent après en tendant leurs mains maculées de bave.
Le truc quand même bien à Londres, c’est qu’il y a plein d’espaces verts. Et ça, ça change la donne. Très franchement, si j’avais eu la chance d’avoir une maison de campagne familiale, c’est là que je me trouverais actuellement – et vous aussi, avouez-le. Nous y serions tous, dans nos maisons avec jardin pour s’ébrouer.
Le problème avec les Nick…
Pauvres Leïla Slimani et Marie Darrieussecq, qui s’en sont pris plein la figure parce qu’elles ont la chance d’en avoir une, de maison, et d’en avoir un, de jardin pour s’ébrouer. Alors que personne ne dit rien contre un Nick Cave, par exemple, qui continue à faire la promo de son nouveau livre sur son compte Instagram ; ou l’écrivain Nick Flynn, qui envoyait dimanche soir un mail collectif pour nous rappeler que son livre venait de sortir, et qu’il se tenait à prêt à répondre à des interviews.
>> Voir aussi : Dans la bibliothèque de Leïla Slimani
Mais peut-être y a-t-il un problème avec les Nick ? Peut-être que, quand vous vous appelez Nick, vous chopez le virus de l’obscénité ? Tout fout le camp de toute façon, alors allez savoir.
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
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