Three Girls raconte comment des jeunes filles furent victimes d’un réseau pédophile. Une minisérie britannique accrochée au réel.
La télé anglaise n’a jamais eu d’autre vérité que son caractère contemporain. Pour y parvenir, elle a décidé de se ressembler, de ne pas vraiment faire d’efforts pour être actuelle, comme si elle l’était naturellement. Ce genre de paradoxe so british donne aux créatrices et créateurs du pays un coup d’avance sur pas mal de leurs collègues, une évidence que Three Girls confirme à l’aise. Enfin, à l’aise, c’est une façon de parler. Car la réalité que décrit cette minisérie en trois épisodes tendus initiée par le mastodonte BBC One est tout sauf légère.
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Nicole Taylor, la scénariste et Philippa Lowthorpe, la réalisatrice, s’emparent de l’une des affaires de mœurs les plus révoltantes de l’histoire récente, un trafic sexuel en réseau de jeunes filles à Rochdale – près de Manchester – où des adolescentes de 13 à 16 ans environ ont été prostituées et soumises à des abus et des viols. La série épouse le point de vue de trois victimes mais Three Girls a la finesse de commencer presque comme un teen drama ordinaire, pour accompagner brutalement un glissement vers le précipice.
Entre les gouttes de pluie
Holly, 15 ans, se trouve en quasi rupture avec sa famille et s’emmerde au collège dans lequel elle vient d’arriver. Les garçons ne sont pas vraiment à la hauteur de ses désirs. Elle finit par rencontrer deux sœurs tout aussi moroses et traîne sans but dans la ville. C’est le nord de l’Angleterre et il n’y a pas grand-chose à faire entre les gouttes de pluie. Elles fréquentent un restau pakistanais où des hommes font attention à elles, les couvrant de cadeaux et d’alcool, avant de passer à l’acte.
Le premier épisode, le plus dur des trois, décrit avec un certain brio une mécanique de douleur et d’emprise. Une scène de viol évite l’exploitation du drame pour filmer une vraie expérience du trauma, que l’on garde en tête pendant les trois heures que dure la fiction et au-delà. Mais Three Girls n’est pas seulement une minisérie accrochée au vécu, ni un énième ersatz à caméra tremblante sur la condition sociale des plus pauvres et la violence encourue. Si elle fixe le réel sans détourner le regard, c’est pour essayer d’en saisir la complexité démoralisante, les arrière-cours secrètes. Mettre à nu la logique d’un système, telle est l’ambition.
Très vite, les jeunes femmes parlent. Et tout de suite, personne ou presque ne les écoute, y compris la police, engoncée dans ses présupposés sexistes
Diffusée pour la première fois dans son pays il y a un an, elle se révèle pertinente à regarder en 2018, notamment dans sa description au cordeau des méandres d’une quête de justice. Car très vite, les jeunes femmes parlent. Et tout de suite, personne ou presque ne les écoute, y compris la police, engoncée dans ses présupposés sexistes et gênée par l’origine pakistanaise des agresseurs, alors que les victimes sont blanches.
Nicole Taylor et Philippa Lowthorpe se sont beaucoup documentées et de nombreux passages de la série sont tirés de procès-verbaux. Là où la fiction tient le mieux la main aux faits, c’est à travers le personnage d’une assistante sociale, première lanceuse d’alerte à la persévérance bouleversante et à l’empathie indéboulonnable pour les jeunes filles. Three Girls en fait une héroïne discrète mais inoubliable.
La tendance Ken Loach/Mike Leigh
La minisérie ne réussit pas tout, la principale frustration venant de la manière dont une découpe assez audacieuse – chaque épisode est très différent et une ellipse spectaculaire tranche le récit en deux – aurait gagné à proposer un épisode supplémentaire, pour approfondir. Le troisième chapitre tente à la fois de rendre compte du procès qui a eu lieu et de traiter de l’enjeu fantôme principal de l’affaire, lié à la race – au sens social et politique du terme. On imagine ce qu’aurait fait d’un tel matériau un auteur comme David Simon. On imagine aussi ce qu’une vision formellement plus travaillée aurait apporté.
A la télé anglaise, la tendance Ken Loach/Mike Leigh, la plus naturaliste, a gagné la partie quand il s’agit de raconter l’horreur du monde réel, contre la tendance Alan Clarke – réalisateur au lyrisme sec de Elephant, Scum ou encore Christine, mort en 1990 – qui paraît oubliée. On peut le regretter. Mais c’est une autre histoire, pour un autre monde.
Three Girls Jeudi 14 juin, 20 h 50, Arte. Disponible sur Arte + 7
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