Tandis que “Le Silence des agneaux” rate sa ressortie en salle, “Le Sixième Sens” de Michael Mann, autre Lecter movie, est mis en avant par le site VOD LaCinetek.
En ce début de printemps, Hannibal Lecter devait effectuer un come-back tonitruant dans les salles avec la ressortie importante du Silence des agneaux. Mais une épidémie et la fermeture des salles afférentes ont accompli ce à quoi le FBI avait tant peiné : neutraliser les agissements du psy cannibale.
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Il faudra donc attendre pour revoir sur grand écran le beau film de Jonathan Demme, dont un revisionnage (pour se consoler) en DVD a mis en évidence la beauté inentamée – et aussi son caractère précurseur dans sa façon de filmer la violence sexiste ordinaire, à travers le sacerdoce de Clarice Sterling (Jodie Foster, sublime à jamais), seule femme infiltrée dans un monde fait de molosses mâles et de substituts paternels à foison.
Quelques images hallucinées et inoubliables
Mais il suffit de chasser Hannibal Lecter par les portes (fermées des salles) pour qu’il revienne par la fenêtre (des plateformes de streaming). Le Sixième Sens de Michael Mann fait partie en effet de la sélection du mois du site LaCinetek et c’est la première apparition à l’écran du célèbre docteur.
Certes, c’est une première apparition sur la pointe des pieds car, dans cette adaptation du premier roman de Thomas Harris autour de ce personnage (Dragon rouge, 1981), Lecter est un personnage assez secondaire. C’est Brian Cox qui l’interprète et déjà il distribue les énigmes et les signes tel un sphinx derrière les barreaux de son HP sous haute sécurité.
Le film de Mann, son troisième (après Le Solitaire et La Forteresse noire), n’a pas la vigueur dramatique et la science du suspense de celui de Demme. Sa beauté gît plutôt dans une certaine torpeur, une construction un peu lâche, une déshérence dramatique, qui n’omet pas pourtant de distiller quelques images hallucinées et inoubliables (un fauteuil roulant convoyant un homme embrasé qui dévale en hurlant un parking ; des doigts de femmes s’enfonçant voluptueusement dans la fourrure d’un tigre anesthésié étendu sur une table d’opération…).
Voir sans être vu
L’enquête languit au rythme des errements psychiques de son profiler trop sensible (l’étrange William L Petersen), qui ne peut penser qu’en se projetant totalement dans la psyché détraquée de ceux qu’il pourchasse. Le récit bifurque, compose des dessins étranges, comme les architectures urbaines high-tech de décors presque toujours vidés de figurants, et baignés dans une lumière bleue glaciale et de nappes de synthé sépulcrales.
Dans le dernier mouvement du film, Dragon rouge, le vrai méchant, un serial killer terrorisé d’être vu par les femmes qu’il désire, s’éprend d’une jeune femme aveugle. Délesté de la souffrance d’être visible, il peut aimer. Il voit enfin sans être vu.
C’est alors le finale sublime du Silence des agneaux qui revient à l’esprit, lorsque Buffalo Bill fait disjoncter le compteur électrique et, outillé d’un casque infrarouge, observe les gesticulations de Clarice se débattant dans les ténèbres. Il pourrait la tuer mais ne le fait pas, pour faire durer le temps de la contemplation univoque, et il en périra. C’est aussi cette si sécurisante femme aveugle qui perdra Dragon rouge. Aucun regard ne peut faire l’économie d’un contrechamp.
Le Sixième Sens de Michael Mann, avec William L. Petersen, Kim Greist, Joan Allen (E.-U., 1986, 1h58)