[Shane MacGowan, l’inoubliable chanteur de The Pogues, est mort ce 30 novembre. Nous l’avions rencontré à Dublin en 2012]
Plus de vingt après leur dernier passage en France, le très allumé Shane MacGowan revient avec ses Pogues (et sans ses dents) donner deux concerts à Paris. Rencontre à Dublin.
C’est une histoire tragique et belle à la fois, une histoire irlandaise. Celle de Shane MacGowan, 54 ans, éternel chanteur des Pogues, le seul groupe du monde à avoir su faire marcher ensemble le punk, les violons, les flûtes et la cornemuse.
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Il nous a fixé rendez-vous à l’hôtel Four Seasons de Dublin. Il a trois bonnes heures de retard : un timing qu’on ne s’autorise en général plus que dans le hip-hop. On boit quelques pintes (de Guinness, forcément) en attendant de le voir débouler – mais aussi pour se mettre au niveau de l’animal. Il finit par arriver, en compagnie de sa femme et d’une bouteille de rosé de Provence déjà bien entamée. Il est 16 heures à Dublin, et visiblement tôt le matin pour MacGowan, qui traverse l’hôtel comme un héros digne et bousillé de James Joyce. Les portiers saluent l’idole erratique, qui avance doucement en se tenant parfois aux meubles et sourit aux vieilles dames qui prennent le thé, découvrant une bouche totalement dépourvue de dents, même s’il n’en a jamais eu beaucoup (lors de sa dernière rencontre avec un journaliste des Inrocks, il en avait encore une petite paire, qu’il essayait de fourguer contre un peu de cocaïne).
Victoria Mary Clarke, sa compagne depuis des lustres (qu’on voit valser avec lui dans le clip d’A Rainy Night in Soho – 1986), l’installe dans un canapé cossu et commande une première pinte de gin tonic pour lui, un Coca pour elle. “C’est quand vous voulez pour l’interview”, dit-elle avant de nous quitter en laissant son mec au boulot.
On s’installe doucement à côté de MacGowan qui entame sa pinte de gin to avec la tête d’un enfant de 6 ans à qui l’on vient de filer un lait-fraise. Il a pris un méchant coup de vieux. Il nous fixe avec des yeux très clairs et très doux. “Vous venez de France, c’est ça ?”, dit-il lentement. On lui répond que oui, comme la bouteille de rosé qu’il a posée à côté de lui et qui manque valser à chaque instant. Il sort alors un petit bruit qui accompagnera toute notre rencontre : un son de crécelle qu’il produit en frottant sa langue entre sa gencive et son palais et qui ponctue chacune de ses phrases – ça veut sans doute dire qu’il se marre. “Je vais jouer en France bientôt, vous tombez bien”, ajoute-t- il en trempant la langue dans son verre.
MacGowan, si Dieu le veut – mais comme Dieu est irlandais… – devrait en effet se trouver sur la scène de l’Olympia à Paris les 11 et 12 septembre prochains. Après s’être fait éjecter des Pogues en 1991 pour excès de défonce – à l’époque, on n’avait trouvé que Joe Strummer des Clash pour le remplacer, c’est dire l’envergure du type –, MacGowan est revenu dans le groupe il y a un peu plus de dix ans car les Pogues sans lui, ça n’était pas vraiment les Pogues, autant dire le plus grand groupe irish de tous les temps, loin devant ces couillons de U2.
Lorsqu’on lui demande s’il garde un souvenir précis de cette grande aventure, il répond que naturellement, au regard de son mode de vie, il ne se rappelle pas de tout – et ça vaut certainement mieux comme ça. “Mais je conserve quelques flashes quand même, ajoute-t- il. Je me souviens qu’on faisait beaucoup de concerts, qu’on enregistrait des chansons, qu’on buvait beaucoup, qu’on prenait pas mal de drogues aussi, et qu’un jour je me suis retrouvé quelque part en Irlande et qu’un type m’a demandé si par hasard je n’étais pas Shane MacGowan des Pogues. Ce jour-là, j’ai eu le sentiment d’avoir fait un truc de ma vie. Pas forcément un truc bien, juste un truc.”
Shane MacGowan est né en Angleterre, dans le Kent, dans une famille irlandaise, en 1957. La famille MacGowan a multiplié les allers-retours entre l’Angleterre (Londres, notamment) et la ville de Tipperary, en Irlande. “Les réminiscences de mon enfance à Tipperary, c’est sans doute ce que j’ai de plus beau, encore aujourd’hui. Je me souviens d’avoir été heureux, là-bas, avec ma famille. Je me souviens d’une lumière très particulière, d’un certain calme, c’est ça l’Irlande, pour moi. J’ai le sentiment d’avoir couru après ça toute ma vie. Tout le temps que j’ai passé loin de Tipperary et de l’Irlande, j’ai eu le sentiment d’être un traître”, dit-il en enchaînant sur une deuxième pinte de gin qui vient accompagnée de sa cousine de Guinness.
Alors quand on lui demande s’il a été ému de voir le flic américain de la série culte The Wire chialer à moitié dans sa mousse quand il entend les Pogues (en particulier la chanson A Pair of Brown Eyes), MacGowan ne cache pas sa fierté : “Bien sûr, j’ai vu cette série. Je n’ai pas tout regardé car elle est très longue, je crois. Aux Etats-Unis, les Pogues ça veut dire quelque chose pour les gens qui ont des origines irlandaises, c’est la musique du pays.”
Le 12 janvier 1976, la presse anglaise a décidé de sa carrière de rock star en affichant sa tronche de fou pleine de sang en une du Daily Mail. La photo avait été prise à un concert des Clash où MacGowan s’était fait déchirer un lobe d’oreille : “Cannibalisme au concert de Clash”, avait titré le journal. Trois semaines plus tard, Shane MacGowan montait son premier groupe de punk, The Nips, puis ce fut le tour des Pogues en 1982, avec deux types croisés aux toilettes pendant un concert des Ramones : Pete “Spider” Stacy et Jem Finer. “On ne savait pas trop bien ce qu’on faisait à l’époque. Je crois qu’on n’en sait pas plus aujourd’hui, d’ailleurs”, ricane MacGowan façon crécelle.
Près de quarante ans plus tard, le vieux père Shane est devenu un peu malgré lui une des rares légendes du rock encore en activité, aux côtés de ses vieux potes Nick Cave et Tom Waits. Joe Strummer disait de lui qu’il était le meilleur de sa génération. Quentin Tarantino affirme que MacGowan est le seul type au monde à pouvoir lui faire verser une larme quand il l’entend chanter Fairytale of New York. Au milieu des années 2000, Pete Doherty l’avait convaincu de le rejoindre sur scène pour les débuts des Babyshambles et ce dernier fait désormais partie de ses potes (est-ce une bonne nouvelle ?).
Pourtant, MacGowan semble loin de toute cette mythologie. “Je mène une vie simple ici en Irlande, à Dublin ou à Tipperary, en attendant que les gars m’appellent pour tourner avec eux. J’écoute des traditionnels irlandais, Dylan aussi. J’essaie de finir Finnegans Wake de Joyce mais je n’y arrive jamais. Je crois que c’est l’oeuvre d’une vie.” Il essaie aussi d’en finir avec l’alcool mais c’est peine perdue. “C’est une drogue. Je ne peux pas m’en passer”, dit-il le regard un peu vide.
Son entourage affirme néanmoins qu’il a décroché des drogues dures, qui avaient failli avoir sa peau au début des années 90. Quelques Guinness plus tard, MacGowan nous propose de l’aider à rentrer chez lui, sa femme et son manager ayant déguerpi. C’est tenu par le bras, et en donnant des pourliches conséquents aux portiers – qui les lui remettent aussitôt dans la poche – qu’il quitte chancelant mais triomphal le hall du Four Seasons. En héros irlandais.
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