C’est l’un des meilleurs livres de 2018, enfin réédité en poche : enquête fascinante sur une série de crimes commis contre les Indiens dans les années 1920, La Note américaine est un chef-d’œuvre et un devoir de mémoire important. Rencontre avec son auteur, David Grann.
« Ce que je recherche, c’est la vérité », répétera plusieurs fois David Grann au cours de notre rencontre. Ce reporter star du prestigieux New Yorker est habitué à son armée de fact checkers. Mais c’est quand il va se lancer, pendant cinq ans, à enquêter sur cette affaire de meurtres en série perpétués dans la tribu osage au début du XXe siècle, que son amour de la vérité va se muer en une immense charge. « Il s’agit d’une affaire où vous vous sentez une grande responsabilité morale envers la vérité. » Parce qu’enfin, cette histoire, enfouie, oubliée, de l’Amérique, allait être révélée. Il fallait donc respecter au plus près cette vérité, jusque-là déniée par une amnésie collective un peu trop confortable, pour enfin au plus près restituer « cette partie de notre histoire qui est l’une des pires conspirations criminelles, et série de crimes raciaux en Amérique ». Et d’une certaine façon, faire justice.
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Rencontre avec le Diable
Rompu aux enquêtes de longue haleine, Grann n’avait pourtant pas l’intention d’écrire un livre en allant, un jour, visiter le musée Osage. Là, une photo l’intrigue : d’un côté, des Indiens, de l’autre… rien, cette partie a été coupée. La directrice du musée, descendante des Osages, lui dira qu’il y avait le Diable – et de lui raconter cette histoire de meurtres en série qui fait partie de l’histoire et de la mémoire osage, alors que les Blancs l’ont oubliée. David Grann va rouvrir le dossier, et mener sa propre investigation. En 1921, les guerres indiennes ont cessé. Les Indiens sont parqués dans des réserves, abandonnés à un sort de misère. Tous, sauf les Osages. Par un heureux coup du sort, ceux-ci sont millionnaires. Car le territoire rocheux de l’Oklahoma que leur a attribué le gouvernement, s’est révélé être le plus grand gisement de pétrole des Etats-Unis. Ils achètent voitures de luxe, se font construire de grandes maisons, emploient même des domestiques blancs – jusqu’à quel point les colons blancs le supporteront-ils ? Avant même que les meurtres ne commencent, on sent déjà que dans ce monde né de l’assassinat en masse des Indiens d’Amérique, quelque chose va mal tourner.
Le livre commence par la vie d’une Indienne osage, Mollie, mariée à un Blanc, Ernest, comme c’était souvent le cas : les Blancs raffolaient de ces mariages avec les Osages parce qu’ils étaient riches. Le premier meurtre va avoir lieu dans sa famille : sa sœur Anna, qui vient à un déjeuner chez elle, boit trop, drague ouvertement Bryan, le frère d’Ernest et s’en va en voiture avec lui. Quelques jours plus tard, son cadavre est retrouvé près d’une rivière, un trou dans le crâne prouvant qu’elle a été abattue de dos – sauf que la balle a disparu. Parallèlement, un autre homme est tué de la même façon, puis c’est au tour de la mère de Mollie, Lizzie, d’être empoisonnée. C’est le début d’une longue suite d’assassinats, par arme, défenestration ou empoisonnement (en buvant du Moonshine, un whiskey de contrebande alors que nous sommes en pleine prohibition), et les diverses enquêtes qui seront menées, soit par des policiers locaux, soit par des détectives privés engagés par Mollie elle-même, partent en vrille. Les indices et les preuves semblent disparaître mystérieusement, les versions se transforment bizarrement, les témoins, ou les gens qui comptent et qui pourraient agir pour défendre les Osages, se font abattre. La terreur règne, Mollie dépérit, confinée chez elle…
Le meurtre et la discrimination comme ciment d’une nation
Edgar J. Hoover a 29 ans quand il prend la tête du BOI (Bureau Of Investigation) qui deviendra le tout jeune FBI. En 1925, le dossier Osages atterrit entre ces mains…
On peut lire La Note américaine comme un thriller palpitant, et ce serait déjà suffisamment passionnant. Mais c’est d’abord et avant tout un grand livre politique sur ce qui a fondé les Etats-Unis : le meurtre et la discrimination. Les Osages étaient ainsi « restreints » – jugés trop idiots, donc irresponsables pour gérer leur fortune, chacun était mis sous la tutelle d’un curateur. Blanc, bien sûr. Ce que va révéler Grann dans son enquête, c’est tout un système d’abus de biens, de vols tout simplement crapuleux permis par l’Etat. « Le gouvernement fédéral n’était pas le seul à s’immiscer dans les affaires des Osages, encerclés de prédateurs – ‘une flopée de vautours’, tel que le formula un membre de la tribu lors du conseil. Les politiciens véreux cherchaient à accaparer leur fortune ; les bandits attendaient qu’ils retirent leurs économies avant de les leur arracher ; les commerçants leur appliquaient un tarif ‘spécial’ ; les comptables et les notaires sans scrupule les exploitaient sous tutelle.«
Les meurtres en série vont révéler, pour David Grann, quelque chose de plus noir encore. Dans la deuxième partie du livre, fascinante, consacrée à l’enquête que mena Tom White, envoyé par le FBI, avec ses agents undercover, on va découvrir l’identité du mandataire des crimes, en même temps que se forge la bible des règles des enquêteurs du Bureau, dont la légitimation, même l’existence, devra beaucoup à la résolution de cette affaire de meurtres. Mais c’est dans la dernière partie, quand Grann nous entraîne dans son enquête en 2015, et sa visite aux descendants des victimes osages toujours en Oklahoma, que l’on découvre que le FBI n’avait pas élucidé tous les crimes. Sa propre enquête, plus d’un siècle plus tard, révèle ce qui s’est joué de bien plus horrible que ce que l’on aurait pu croire jusqu’alors : le complot contre les Osages n’a pas été ourdi par un seul Blanc, mais par une communauté entière, complice dans l’horreur. « Il y avait beaucoup plus de meurtres, il ne s’agissait pas de cas isolés. Il s’agissait vraiment d’une culture de la mort… »
David Grann La Note américaine. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay.
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