Chaque mois, le meilleur des expos art contemporain, à Paris et en région
Contre-offensive dansée au néolibéralisme
Les mailles du pouvoir se sont resserrées. Elles enserrent jusqu’à l’individu lui-même, qui ressent en son corps, ses gestes et ses fonctions vitales l’exercice du pouvoir politique. Lorsque Michel Foucault formulait ce constat au mitan des années 1970 en lui donnait le nom de « biopouvoir », il était loin de se douter de sa triste justesse. Désormais, le système économique du néolibéralisme incarne davantage encore ce pouvoir immatériel et pourtant ressenti par tous, directement mesurable à la baisse du temps de sommeil moyen que diagnostiquait à son tour Jonathan Crary dans 24/7. Cet état des lieux fournit le paysage de départ de la deuxième édition de MOVE, qui au Centre Pompidou propose deux semaines durant un programme autour de la danse, de la performance et de l’image en mouvement. Succédant au Nouveau Festival, MOVE propose une programmation pointue, jeune et cool d’artistes internationaux peu vus en France. Maria Hassabi, Paul Maheke, Liz Magic Laser, Juliana Huxtable interviendront dans le cadre de l’exposition au Forum -1, tandis qu’une série de performances viendront également investir le reste des salles de l’institution, avec notamment Hannah Black, Boychild en conversation avec Jack Halberstam ou Pedro Barateiro. A ne pas rater, la conférence de Philippe Mangeot, co-scénariste du film 120 battements par minute et intellectuel en résidence du Centre Pompidou durant l’année 2018, qui s’entretiendra avec le philosophe Paul B. Preciado et le danseur Volmir Cordeiro. Pour tenter de substituer aux corps épuisés et asservis des stratégies de résistance passionnelles et des chemins de traverse serpentins.
• MOVE 2018, du 7 au 24 juin au Centre Pompidou à Paris
Laure Prouvost, plutôt deux fois qu’une
La bonne nouvelle est double, et elle vient de tomber. Lors de la prochaine de Biennale de Venise à l’été 2019, ce sera Laure Prouvost qui se chargera de représenter la France, apportant une touche fantaisiste et féminine à un pavillon qui en manquait jusqu’alors cruellement. Succédant à Annette Messager, Sophie Calle et plus récemment Camille Henrot en 2013, Laure Prouvost sera la quatrième femme à y intervenir et ce depuis l’inauguration du pavillon français en 1912. Originaire de Lille mais installée à Londres, les vidéos et installations de la quarantenaire passent de la poésie à l’absurde en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Swallow ». Swallow, voilà le titre de la vidéo qui lui vaudra il y a cinq ans de remporter le prestigieux Turner Prize anglais. Pour la traduction du titre, on hésite entre « avaler » ou « hirondelle », tant son univers est justement construit sur des contre-sens et polysémies nous entraînant dans un tourbillon délirant et jouissif dans la plus pure tradition british, quelque part entre Monthy Python et David Foster Wallace. La deuxième bonne nouvelle donc, c’est que l’on pourra dès ce mois-ci la découvrir au Palais de Tokyo, qui a eu le flair de lui consacrer une exposition solo au sein de sa nouvelle saison. Un dédale immersif mêlant vidéos et installations anciennes ou nouvelles autour du réchauffement climatique, de la contamination de l’environnement – et une fontaine de seins nourriciers au centre, car après tout précise-t-elle, les expositions d’été se doivent aussi d’être légères et sensuelles !
• Laure Prouvost à la Biennale de Venise 2019 et au Ring, Sing and Drink for Trespassing au Palais de Tokyo, du 22 juin au 9 septembre au Palais de Tokyo à Paris
Géo Trouve-Tout
Il est l’un des seuls peintres à s’être directement inspiré des écrits du post-structuralisme français. A en avoir pour ainsi dit produire une peinture appliquée comme une traduction visuelle du réagencement du monde porté par des auteurs comme Foucault et Baudrillard. Né en 1953, l’américain Peter Halley hérite de l’abstraction américaine mais la recharge d’un contenu philosophique qui, chez lui, se précise aussi et surtout comme une critique sociale. Ainsi, ses circuits et cellules traitées en peinture fluo et en crépi synthétique (le Day-Glo et le Roll-a-Tex) confèrent à ses toiles une apparence immédiatement reconnaissable. Ce qu’on sait moins, c’est que leur géométrie en apparence abstraite s’enracine dans une réflexion sur les architectures de contrôle (d’où Foucault, abordé par les textes sur les dispositifs carcéraux et hospitaliers) et la révolution numérique (d’où Baudrillard, lu par le versant du symbolique et de la perte du réel). Familier des foires et des cimaises de musées, Peter Halley reste souvent dans l’imaginaire réduit à cet ensemble de coordonnées visuelles immédiatement reconnaissables. A la galerie Xippas, l’exposition solo qui lui est dédiée sous le commissariat de Jill Gasparina prend la forme d’une installation à l’échelle de la galerie accompagnée également de textes. Permettant alors de le resituer dans la réflexion du post-structuralisme américain des années 1980 également qualifié de French Theory, et d’éprouver la pertinence de ses peintures pour anticiper l’avènement du monde digital. Et surtout, nous permet de revivre les cyber-rêves d’une époque révolue qui néanmoins n’en finissent pas de nous hanter.
• Au-Dessous/Au-Dessus de Peter Halley (cur. Jill Gasparina), du 9 juin au 28 juillet à la galerie Xippas à Paris
Pas une fin, un envol
Ainsi va le lieu des chaises musicales des fondations privées. A l’adjonction au paysage français des Fondations Lafayette, Carmignac et bientôt Pinault en 2019, une ombre vient assombrir le tableau : la fondation de la Maison Rouge. En janvier dernier, le collectionneur Antoine de Galbert annonçait qu’il mettrait fin à son lieu d’exposition parisien ouvert en 2004. Un fin organique selon lui, préférant finir « au plus haut de la vague, plutôt que de courir de risque de moins bien finir« . S’intéressant aux formes marginales de la création, qu’on les qualifies de brutes, primitives ou singulières, la dernière exposition ouvrira ses portes ce mois-ci, avant fermeture définitive en octobre prochain. L’envol ou le rêve de voler, c’est son titre, résulte d’un commissariat à quatre têtes, Antoine de Galbert ayant ainsi choisi d’inviter Barbara Safarova, Aline Vidal et Bruno Decharme, tous trois spécialistes d’art brut. Ensemble, ils ont conçu une proposition autour du rêve de voler, élan fantasmé qui ne se prolongera cependant par aucun envol effectif. Mythologie d’Icare pourchassée à travers des œuvres d’art contemporain, brut et étendue à l’histoire matérielle, aux documents, artefacts de la culture populaire et objets ethnographique. Plutôt qu’un point final, un point d’orgue.
• L’Envol ou le rêve de voler (cur. Antoine de Galbert, Barbara Safarova, Aline Vidal et Bruno Decharme) du 16 juin au 28 octobre à la Maison Rouge à Paris
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’art…
… sans jamais oser le demander. Tout et rien de moins que cela, tout cela sera certainement explicité aux Beaux-Arts de Paris lors de deux jours de colloque bien remplis. Pour la troisième année consécutive, l’école organise et accueille chaque année un colloque international, dont la spécificité est de donner aussi bien la parole à des philosophes, des théoriciens qu’à des artistes plasticiens, danseurs ou âmes créatives tout court. Succédant à L’irResponsabilité de l’artiste et La Valeur de l’art, La Marche forcée de l’art réunit début juin des pointures comme le philosophe Timothy Morton, les artistes Jimmy Durham ou Jana Sterbak, la théoricienne et curatrice Clémentine Deliss ou encore le galeriste Bernard Ceysson. Comme chaque année, il s’agira de se pencher sur l’état actuel de la création, ses conditions matérielles et ses contraintes autant que ses horizons sinon radieux, du moins renouvelés. Le thème aborde ainsi plus spécifiquement la manière dont les artistes réagissent aux contextes troubles, aux changements de paradigme et aux bouleversements venant rompre le cours du temps – avec une large place accordée aux défis écologiques. Ce que le colloque démontre déjà avant même son coup d’envoi, c’est l’extraordinaire vitalité de l’écosystème artistique – qui d’une contrainte fait un matériau à sublimer.
• La Marche forcée de l’art (entrée libre sur inscription), les 6 et 7 juin à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris