[Track of confinement] Chaque jour, à 12h, pour survivre au confinement lié à l’épidémie de coronavirus, Les Inrocks vous replongent dans l’un de leurs morceaux préférés. Retour sur le magistral Wuthering Heights de Kate Bush.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Il est 18h, la fin de journée approche et, pour une fois, cette perspective ne vous réjouit guère. Aucune terrasse à l’horizon, encore moins de balade à pied pour rentrer chez vous. Vous rêveriez presque de participer à l’un de ces afterworks sur une péniche du côté des quais de Seine. Oui, vous en rêveriez presque de ce Mojito trop sucré. La pente est glissante, l’angoisse vous saisit à la gorge. Un seul remède : le merveilleux, le magique, l’indétrônable Wuthering Heights de Kate Bush.
Pour celles et ceux qui seraient – par on ne sait quel drame – passé·es à côté de ce chef-d’œuvre, ruez-vous sur le clip. Si l’on s’accorde à dire qu’il ne faut jamais faire l’écoute d’un premier morceau via son clip, au risque de se laisser bercer par l’image et de se faire une fausse idée du son, Wuthering Heights déroge à la règle (au même titre que le Baby One More Time de Britney). Il faut impérativement écouter le morceau en ayant le clip en tête. Là, dans la lande noyée de brume, une drôle de femme toute de rouge vêtue, se lance dans une chorégraphie empruntant autant au burlesque, au mime qu’à la danse contemporaine. Les gestes sont larges, immenses, démesurés. La spontanéité du mouvement a la désinhibition de l’enfance. D’entrée de jeu, Kate Bush déroge aux stéréotypes de la féminité et revisite la figure de la sorcière, de l’hystérique.
https://www.youtube.com/watch?v=BW3gKKiTvjs
“Elle a campé sur ses positions avec Wuthering Heights et elle avait absolument raison”
Nous sommes en 74. Kate Bush, 16 ans, écrit des morceaux et chante depuis des années dans la ferme du Kent où ses parents, l’un médecin, l’autre infirmière, tous deux catholiques, l’élèvent. L’ambiance est à la richesse et au développement culturels. Ses deux grands frères jouent plusieurs instruments, lui font découvrir la peinture préraphaélite puis enregistrent les morceaux qu’elle écrit et compose à l’aide d’un lecteur-cassettes.
Un beau jour, un de leurs amis, Ricky Hopper, qui bosse chez le label Transatlantic Records, leur envoie un certain David Gilmour des Pink Floyd. Kate chante. Hypnotisé par sa voix haut perchée et son sens du songwriting, David la prend sous son aile jusqu’à sa signature chez EMI. Les années passent et Bush enchaîne les petits lives dans des bars. Un soir, elle tombe sur l’adaptation faite par la BBC de Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent), célèbre roman d’Emily Brontë et pierre angulaire du Romantisme anglais paru en 1847. L’histoire d’amour entre Catherine Earnshaw et Heathcliff lui va droit au cœur. Elle écrit Wuthering Heights.
Trois ans plus tard, en janvier 1977, alors que l’Angleterre est aux blousons noirs et au punk rageur, Kate Bush entre en studio avec le groupe de rock progressif The Alan Parsons Project pour enregistrer son premier album, The Kick Inside. Au moment de choisir son tout premier single, Bush tient tête à son label EMI et impose Wuthering Heights, qui sort en janvier 1978. “EMI voulait James And The Cold Gun comme premier single. C’était le morceau le plus évident sur l’album, et ça aurait été l’un des pires choix, raconte Andrew Powell, producteur de l’album, à Uncut. C’était un morceau marrant à avoir là-dessus et c’était l’un des rares qu’elle avait déjà joué live avec le KT Bush Band, mais elle a campé sur ses positions avec Wuthering Heights et elle avait absolument raison.”
Brian Bath, guitariste dans le KT Bush Band, se remémore dans l’ouvrage Kate Bush: Le temps du rêve de Frédéric Delâge : “Je traînais dans son appartement quand Wuthering Heights a été joué la première fois sur la radio Capitol. Kate a dit ‘Oh ils jouent mon morceau ce soir’. On était tous assis là et le DJ a dit qu’il avait trouvé ce morceau très bizarre ou un truc du style et l’a joué. On en revenait pas que ça sorte de la radio. Il a continué à le jouer. Tu pouvais appeler Capitol pour voter pour le morceau que tu voulais entendre. J’étais dans la ferme de ses parents à peu près chaque jour, il y avait toujours un truc à faire, et la mère de Kate me disait ‘Tu as appelé Capitol ? Utilise le téléphone ! Fais-le maintenant !’ Le morceau passait tout le temps et d’un coup, ça a explosé.”
Deux clips
Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf écrivait au sujet des écrivaines : “Quel génie, quelle intégrité il aurait fallu pour affronter toutes ces critiques, au beau milieu d’une société purement patriarcale, pour s’en tenir fermement à sa façon de voir, sans fléchir. Seule Jane Austen y est parvenue, et Emily Brontë (…) Parmi le millier de femmes qui écrivaient alors des romans, elles seules ignorèrent totalement les admonestations incessantes de l’éternel pédagogue – écrivez ceci, pensez cela (…) leur conseillant vivement, si elles voulaient être sages et remporter, comme je le suppose, quelque prix illustre, à ne pas dépasser certaines limites que le monsieur en question estime appropriées.”
Malgré son caractère totalement surprenant, voire inédit, Wuthering Heights et son solo de guitare se hisse au top des charts britanniques puis devient l’un des plus grands hits de l’année 1978, aux côtés de Denis de Blondie et Take a Chance on Me d’Abba.
Wuthering Heights bénéficie de deux clips : le premier transforme Kate Bush en fantôme de Cathy Earnshaw, les bras tendus devant elle. Le second, tourné pour la sortie américaine – mais qui a depuis détrôné son prédécesseur -, la met en scène dans un décor pastoral et mystique. Dans les deux versions, Kate Bush affirme une chorégraphie inspirée par ses cours auprès de Lindsay Kemp, célèbre mime et chorégraphe britannique qui forma également un certain David Bowie, dont il devint l’amant.
Dans un documentaire consacré à Kate Bush diffusé sur la BBC en 2014, John Lydon, alias Johnny Rotten, confesse son amour pour elle et son chant haut perché, “ce que détestaient beaucoup de [s]es amis”. “Ils trouvaient que c’était too much. Mais c’est ça justement qui m’a attiré.”
En 2018, le Bradford literature festival propose à Kate Bush – ainsi qu’à d’autres poétesses – de graver des poèmes-hommages aux sœurs Brontë sur quatre pierres disposées entre Thornton, lieu de naissance des écrivaines, et Haworth, où se situait leur maison de famille. C’est bien entendu à Emily avec qui elle partageait – entre autres – le même jour de naissance que Bush rend hommage :
“She stands outside
A book in her hands
“Her name is Cathy”, she says
“I have carried her so far, so far
Along the unmarked road from our graves
I cannot reach this window
Open it, I pray.”
But his window is a door to a lonely world
That longs to play.
Ah Emily. Come in, come in and stay.”
Retrouvez les épisodes précédents de la série :
>> Track of confinement #3 : “For What It’s Worth”, de Buffalo Springfield
>> Track of confinement #4 : “Le Meilleur de la fête”, de Fishbach
>> Track of confinement #6 : “Long Island Blues”, de Julian Casablancas
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