Le politologue, candidat aux européennes pour la France insoumise, dénonce ce 18 avril les “méthodes staliniennes” de la direction du mouvement. Le comité électoral évoque pour sa part une enquête interne pour “des faits pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel de la part de Thomas Guénolé”.
Coup de tonnerre à la France insoumise. Ce 18 avril, Thomas Guénolé publie un communiqué virulent dénonçant le manque de démocratie interne à la France insoumise (LFI), la “personnalité imprévisiblement colérique” de Jean-Luc Mélenchon et une dérive “autocratique” de l’“appareil central”. La charge est violente. Sur ces deux pages publiées apparemment sous le coup de l’urgence, “pour diffusion immédiate”, le politologue, candidat en 14e position aux européennes pour LFI, accuse la direction du mouvement de mettre en danger LFI en raison de la présence en son sein de Sophia Chikirou, et du risque de condamnation judiciaire qui pèse sur elle. Il estime aussi que Charlotte Girard, pressentie pour être tête de liste, a été “placardisée” pour avoir alerté sur ce même risque. Selon son réquisitoire, tous ces éléments conduisent le mouvement à sa chute. En fin de document, le vocabulaire de Thomas Guénolé se fait cependant plus cryptique. Il s’indigne des “méthodes staliniennes” qui le visent, déclarant qu’on l’accuse de “choses sur la base de rumeurs”, et que des pressions s’exercent sur lui pour qu’il retire sa candidature.
“Un signalement d’une jeune femme”
Quelques minutes après la publication de ce communiqué au vitriol, le comité électoral du mouvement populiste de gauche, piloté par Manuel Bompard (lui aussi visé par Thomas Guénolé), réplique. Laconique mais clair : “Le comité électoral a reçu un signalement d’une jeune femme dénonçant des faits pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel de la part de Thomas Guénolé. Nous avons saisi le Pôle d’écoute et de vigilance contre les violences sexistes et sexuelles. Le dossier était en cours d’instruction. Nous découvrons avec stupeur le communiqué de Thomas Guénolé qui instrumentalise des prétextes politiques pour sa défense.” Selon les informations de Mediapart, une étudiante de Sciences Po s’est en effet plaint du comportement de Thomas Guénolé lorsqu’il était son professeur.
https://twitter.com/thomas_guenole/status/1118764068477833218
Parmi les cadres de la France insoumise que nous avons contactés, l’atmosphère se partage entre stupeur et effarement. La députée LFI Clémentine Autain se dit “stupéfaite”. “Je n’avais même pas entendu parler de la question du harcèlement sexuel, qu’il traite par-dessus la jambe, sans dire de quoi il s’agit. Pour faire contre-feux, il utilise la question très sérieuse de la démocratie dans un mouvement qui prône une sixième République. A l’époque j’avais pointé cette exigence dans Politis. En le faisant avec cette virulence à un mois des européennes, pour couvrir ces faits, je trouve cette méthode délétère”, déclare-t-elle au téléphone.
Des insoumis sous le choc
En effet, les accusations implacables de Thomas Guénolé en étonnent plus d’un(e) à LFI. Très présent dans les médias, le politologue a toujours défendu bec et ongle Jean-Luc Mélenchon (dont on le dit proche), y compris dans les mauvaises passes, comme lors des perquisitions dont LFI a fait l’objet. Le président du groupe LFI à l’Assemblée a d’ailleurs réagi sur Twitter : “Thomas Guénolé m’a affirmé son amitié et son soutien à de nombreuses reprises très récentes. Je suis stupéfait qu’il me mette en cause de cette façon. Décidément, rien ne me sera épargné”.
3/3 – Thomas Guénolé m’a affirmé son amitié et son soutien à de nombreuses reprises très récentes. Je suis stupéfait qu’il me mette en cause de cette façon. Décidément, rien ne me sera épargné.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) April 18, 2019
Alors comment expliquer cette explosion soudaine de critiques ? L’explication apportée par le comité électoral semble réduire le coup de tocsin de Thomas Guénolé à une défense par anticipation, et par des sujets politiques extérieurs. Leïla Chaibi, candidate aux européennes en troisième position sur la liste LFI, se dit “choquée”. “J’ai halluciné en lisant son communiqué. On a encore eu une coordination de campagne lundi midi, à laquelle il a participé, et il n’a jamais émis la moindre critique. C’est gros de sa part, alors qu’il fait partie des plus zélés défenseurs de Jean-Luc Mélenchon. C’est un peu sale d’utiliser ces arguments si c’est pour se défendre d’accusations de harcèlement sexuel. Il utilise les critiques habituelles sur LFI, ce n’est pas compliqué si on veut faire mal”, estime-t-elle. Alexis Corbière, député LFI proche de Thomas Guénolé, fait entendre le même son de cloche au Monde : “Je ne l’ai jamais entendu exprimer ces griefs. Hier encore on discutait d’initiatives locales et il n’y avait aucun problème. Il faut arrêter ces psychodrames, il y a une volonté de faire exploser un collectif à partir d’un cas individuel”.
La piste de la mauvaise foi de la part du politologue est donc privilégiée. Les insoumis encaissent le choc, mais ne cessent de s’étonner de ses arguments : “Il ne découvre pas le fonctionnement de LFI. Qu’est-ce qui lui prend maintenant ? Je n’ai jamais entendu de critiques de sa part auparavant”, souligne aussi Clémentine Autain, qui a déjà émis des remontrances sur le fonctionnement interne du mouvement, dit “gazeux” par “JLM” (“Le mouvement n’est ni vertical ni horizontal, il est gazeux”, avait-il déclaré au magazine Le 1).
Le Pôle d’écoute antisexiste était prévenu depuis le 3 mars
Contacté par le JDD suite au communiqué du Comité électoral, Thomas Guénolé se défend : “Je ne sais toujours pas de quoi je suis accusé, car la France insoumise ne m’a communiqué aucun document m’accusant précisément. De plus, le mouvement a refusé, malgré les demandes répétées de mon avocat, de me communiquer quoi que ce soit”. Depuis décembre 2018, LFI dispose d’un Pôle d’écoute et de vigilance contre les violences sexistes et sexuelles, piloté par Danielle Simonnet. Il a été présenté aux candidats aux européennes lors d’un séminaire fin mars 2019. Celui-ci a bien été saisi d’une plainte concernant Thomas Guénolé, comme nous avons pu le vérifier. Manon Coleou, qui en est membre, affirme : “Le Pôle a été informé le 3 mars de cette affaire, et s’en est saisi. La personne concernée, qui se dit victime de harcèlement sexuel, a été auditionnée le 14 mars. Nous avons émis des préconisations, qui ont été transférées à la Comission électorale le 15 mars. Celle-ci a contacté Thomas Guénolé pour l’auditionner, mais il a refusé d’être auditionné sans son avocat. Il voulait judiciariser la procédure interne”. Ce jeudi après-midi, le nom de Thomas Guénolé a disparu de la page des candidats aux européennes de LFI, où il figurait en position non-éligible, à la 16e place, comme l’a noté Mediapart.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel cas se présente à LFI, qui comme tous les milieux professionnels ou partisans n’est pas épargnée par le harcèlement sexuel. En novembre 2018, un candidat en 59e position sur la liste pour les européennes, Laurent Courtois, avait été exclu pour son comportement inapproprié envers les femmes. Causette avait également rapporté plusieurs témoignages dénonçant le sexisme à LFI. La révélation du signalement visant Thomas Guénolé jette donc un froid. Et le terme de “rumeurs” qu’il utilise à la fin de son communiqué ne passe pas. “La personne qui s’estime victime a directement contacté les instances. Il y a une saisine de la victime, ce n’est donc pas une rumeur, mais une plainte [interne au mouvement, ndlr]”, constate Clémentine Autain. Si LFI n’est peut-être pas un mouvement aussi “gazeux” qu’il le prétend, le fait est que depuis aujourd’hui, il y a de l’eau dans le gaz.
Article mis à jour le 18/04/2019 à 14h46 avec la réaction de Jean-Luc Mélenchon, et à 19h17 avec les informations de Mediapart.