Mercredi 17 avril se tenait le procès de quatre jeunes hommes accusés d’avoir participé à une expédition punitive contre la communauté rom le 25 mars, à Clichy-sous-Bois. Le tout dans un contexte de rumeurs totalement infondées de vol d’enfants en région parisienne par des Roms. Le Tribunal correctionnel de Bobigny a condamné deux prévenus à de la prison ferme, un autre à du sursis.
Ils ont des têtes de gamins, ce qui est d’ailleurs plutôt logique : les quatre prévenus ne sont pas bien vieux. Bras croisés derrière le dos ou sur la poitrine, ces jeunes garçons âgés de 18 à 21 ans comparaissaient ce mercredi 17 avril devant la 18e chambre correctionnelle du Tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences et dégradations de biens », « violences en raison de la race au préjudice d’une victime ou de la communauté rom » et faits de rébellion.
En cause : leur présumée participation à une expédition punitive contre des personnes de la communauté rom dans la soirée de lundi 25 à mardi 26 mars dernier près d’un supermarché Auchan à Clichy-sous-Bois. Une vingtaine de personnes avaient alors été interpellées. Le tout, dans un contexte de rumeurs totalement infondées d’enlèvements d’enfants par des membres de cette même communauté. Un homme avait notamment été roué de coups sur le sol, sous les yeux de familles et d’enfants en panique, tandis que la maison qu’ils et elles avaient investie jusqu’ici, non loin du supermarché, était attaquée. Les quatre prévenus du jour ont nié les faits. Deux d’entre eux, Yahya S. et Marwen S., ont respectivement été condamnés à dix mois et six mois avec mandat de dépôt de prison ferme, un autre, Samir B, à huit mois avec sursis. Le quatrième a été relaxé.
« Chasse à l’homme »
Retour sur les faits : le 26 mars, l’AFP fait état dans une dépêche de « violences visant des Roms » et de « plusieurs rixes et violences [qui] ont eu lieu à Clichy-sous-Bois puis à Bobigny, prenant à partie des personnes de la communauté du voyage » (voir ce papier de CheckNews sur le site de Libé). Plusieurs expéditions punitives, prenant une forme de « chasse à l’homme », ont en effet eu lieu à ce moment-là, d’abord à Clichy-sous-Bois, mais aussi à Bobigny, Aubervilliers, Bondy, Montreuil et Noisy-le-Sec.
Le contexte de ces agressions est particulier. Des rumeurs circulent en effet depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux : il y aurait des enlèvements d’enfants par une camionnette blanche – ou d’une autre couleur – en région parisienne… Et ces rapts seraient le fait de personnes roms. Totalement infondées, comme l’affirmera la préfecture de Paris dans un tweet, ces rumeurs ne sont pas nouvelles, comme le rappelait récemment aux Inrocks Eric Fassin, sociologue, co-auteur de Roms & riverains : une politique de la race (La Fabrique, 2014) : « Ces fantasmes n’ont rien de nouveau. Au contraire, l’enlèvement d’enfants est depuis le Moyen Âge au moins attribué aux Roms. » Depuis, comme l’écrivait la Licra dans un communiqué publié sur son site le 4 avril, « c’est une communauté entière qui vit dans la peur ».
La « tête qui claque sur le sol »
La personne rouée de coups près du supermarché Auchan de Clichy-sous-Bois, qui n’a pas porté plainte, ne sera d’ailleurs pas présente lors de l’audience. Les familles et enfants témoins de la scène non plus. Les quatre prévenus, eux, sont bien là. Et affirment ne pas trop comprendre pourquoi : d’après eux, leur présence au moment de l’agression tiendrait grosso modo du hasard… et c’est la « curiosité » qui les aurait poussés à se joindre au groupe, pour voir de quoi il en était.
Ce qu’il en était, d’après deux des trois fonctionnaires de la BAC intervenus sur place venue témoigner à l’audience : des cris, des pleurs, des familles apeurées préférant abandonner leur squat et prendre la fuite, une cinquantaine d’individus souhaitant en découdre. Un homme à terre, aussi, entouré de plusieurs personnes armées de pierres, de bâtons et de pelles, et recevant des coups de pied au visage avec la « tête qui claque sur le sol ». Une première grenade de désencerclement est alors lancée par la BAC, la victime parvient à se réfugier derrière les fonctionnaires de police. Quand la présidente du tribunal demande à l’un d’eux ce qui se serait passé s’ils n’avaient pas été là : « Je pense que l’homme y serait resté, ou aurait eu de graves séquelles. »
Des préjugés contre les Roms « qui ne datent pas d’hier et des réseaux sociaux »
Dans cette situation de « chaos », Yahya S. se retrouvera menotté à l’un des fonctionnaires de police : selon lui, sans raison, selon les policiers, parce qu’il aurait foncé sur eux avec une pierre après avoir « roué de coups » l’homme à terre. Le menotter aurait été « la seule solution pour qu’il ne prenne pas la fuite ». Marwen S., lui, aurait selon l’un des fonctionnaires de la BAC lancé son – assez gros – chien sur des personnes de la communauté rom après lui avoir demandé « d’attaquer ». Lui nie. La présidente rappelle que la mère de Marwen S., lors de son audition, affirmera qu’elle lui aurait demandé via l’entremise d’un ami d’aller chercher sa petite soeur chez Auchan, qui l’aurait contactée en pleurs « parce qu’il y a plein de Roms et qu’elle a peur ». Marwen S., déjà bien connu des services de police et des juges pour enfants, aurait le 25 mars déclaré aux policiers qu’on lui avait dit que sa soeur avait été enlevée par des Roms, ce qu’il conteste à présent. Samir B., lui, est accusé d’avoir tenté de soustraire aux fonctionnaires de police Yahya S..
L’avocate de la Licra, Yaël Scemama, qui s’est portée partie civile dans le dossier, prend ensuite la parole : « Il y a deux choses extrêmement douloureuses dans cette affaire : la parole des absents, mais aussi et surtout la rumeur, les préjugés, les choses, les mots, tout ce qui entoure la communauté rom et qui ne date pas d’hier et des réseaux sociaux (…) Je voudrais partager [avec les quatre prévenus] cette émotion. Ils ne peuvent nier leur présence. Et même s’ils n’avaient pas commis ces faits, ils n’ont rien fait pour les arrêter ». Qualifiant de « brutal » ce « lynchage », elle demande 1 euro symbolique de dommages et intérêts à Yahya S. à verser à la Licra « pour qu’il ait en mémoire ces cris et cet homme à terre ».
La procureure considère cette agression « xénophobe »
La procureure, elle, évoque un « déferlement de violence » qui « a bien été guidé par un phénomène d’assimilation raciale ou technique » et invite le tribunal à « considérer cette agression commise par ces personnes comme une agression xénophobe ». Elle requiert alors 18 mois d’emprisonnement dont 10 avec sursis et mandat de dépôt contre Yahya S., 8 mois dont 4 avec sursis contre Marwen S., 6 mois avec sursis contre Samir B. et 4 mois avec sursis contre Abdel M.. Les avocats de la défense, eux, demandent la relaxe de leurs clients.
A l’issue d’un délibéré d’une demi-heure, le tribunal a finalement condamné Yahya S. à 10 mois de prison sans mandat de dépôt pour violences à l’égard d’un individu en raison de sa race, mais aussi pour avoir résisté violemment aux fonctionnaires de police. Marwen S. lui, est condamné à 6 mois de prison avec mandat de dépôt pour violences contre les Roms. Samir B. à 8 mois avec sursis pour des faits de rébellion. Abdel M., lui, est relaxé. Le 31 mai aura lieu le procès de huit autres personnes soupçonnées d’expéditions punitives contre la communauté rom.