We Love Green est à peine terminé et c’est déjà l’heure du bilan. Quels sont les groupes qui ont marqué cette édition 2018 du festival parisien ?
Myth Syzer, premiers baisers
On en a vu des séries A, des séries B. La dernière, inclassable, est l’œuvre de Myth Syzer. Le producteur a sorti fin avril le disque idéal pour exalter ses peines de cœur autrement qu’en enchaînant les épisodes sur Netflix. Très attendu pour l’une de ses premières sorties sur scène depuis la publication de son premier album, le Parisien est arrivé en équipe pour interpréter les ambiances contradictoires soufflées sur Bisous. Belle occasion de recueillir tout l’amour d’un public ultra déterminé au moment de chanter le refrain classique de l’été 2017. Si Le Code sonnait clairement comme l’acte de (re)naissance de Myth Syzer, ce concert à We Love Green a prouvé que le projet pouvait exister de manière crédible sur scène. L’idée n’est évidemment pas de chanter avec la grâce et la technique d’un Sampha, mais le chanteur Syzer n’est définitivement plus caché derrière le beatmaker. On note tout de même que le feu n’est jamais plus brûlant que lorsque Loveni et Ichon ne sont pas très loin pour reprendre les repères, l’abandon et les bonnes vieilles habitudes de Bon Gamin.
Azzedine Fall
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La trap mathématique de Migos domine la nuit de samedi
Pour clore une première journée au casting époustouflant (avec Angèle, Ibeyi, Beck, Lomepal, Myth Syzer et ses guests, Sampha, Orelsan, Jorja Smith…), les trois conquérants du hip-hop américain ont assuré le spectacle. Alors qu’ils avaient annulé leur concert à Primavera la veille au tout dernier moment, l’inquiétude était de mise. Le trio est finalement apparu sur scène avec quelques petites minutes de retard. Après un DJ Set bouillant du fidèle DJ Durel, personnage incontournable dans le brillant destin du trident d’Atlanta, les voilà enfin foulant la scène de La Clairière sous un tonnerre d’applaudissements. Le gothique Culture Intro sonne la charge pour une heure intense, cadencée par les instrumentales clinquantes et le débit à couper le souffle de Quavo, Offset et Takeoff. Auteurs d’une discographie déjà pléthorique, Migos a interprété avec une justesse infaillible, presque robotique, les quelque Deadz, Slippery, Hannah Montana, T-Shirt, Bad & Boujee et autres Pipe It Up Walk It Talk It, Stir Fry, Fight Night, Motorsport, Narcos. Un sens du rythme inégalable au profit de la culture de la trap, leur culture, dont certains festivaliers ne sont pas sortis indemnes. Il fallait sans doute monter sur les pylônes pour s’assurer une vue imprenable, à l’abri des coups de coude.
Osain Vichi
Avec Mount Kimbie, 2×2 = 40
En l’espace d’une heure le duo londonien, quartet pour la scène, a balayé 40 ans de musiques anglaises avec grâce. Convoquant tant les spectres du post-punk, de la new-wave que l’esprit Madchester et les années rave-parties, Mount Kimbie a livré un concert impeccable. Sans se vautrer dans ses références qui peuvent s’avérer pesantes, le groupe a oscillé de la techno pure à des envolées synthétiques avec une cohérence irréprochable dans cette petite prouesse acrobatique qui consiste à fondre ses influences dans un écrin post-dubstep. Les Anglais n’ont pas hésité à étirer leurs morceaux jusqu’à la transe ou à sortir les muscles. Exit donc l’ambient qui parcourt la discographie de Kai et Dominic, l’heure était clairement à la frénésie. Une hystérie qui atteindra son paroxysme à l’arrivée de King Krule venu mettre son grain de sable dans la machinerie londonienne pour un Blue Train Lines possédé. Quel morceau.
Théo Dubreuil
King Krule, héros de l’époque ?
Ce dimanche le public avait le choix entre le prodige de la perfide Albion, King Krule et le collectif cosmopolite Superorganism. Devant une foule clairsemée, Archy Marshall aka King Krule a livré un concert habité et lunaire qui ne laissa personne indifférent. Les souvenirs soufflés par ce jazz mutant et urgent nous poursuivent encore et que dire des râles d’outre-tombe largués par le Londonien. Alternant flow lancinant (Baby Blue) et scansion rageuse (Dum Surfer), cavalcades de riffs et saxophone possédé, King Krule a passé en revue sa discographie avec une fluidité à toute épreuve. A seulement 23 ans, Archy Marshall s’impose comme l’un des artistes les plus importants de la fin des années 2010. Malheureusement trop peu s’en sont aperçus ce dimanche.
Théo Dubreuil
Que de l’amour pour Gus Dapperton
Le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre, disait Blaise Pascal. C’était avant la naissance du home-studio, la démocratisation des moyens de production de la musique et l’explosion de ce mouvement aux contours un peu flous : la bedroom pop. Eminent représentant du genre, Gus Dapperton a depuis longtemps quitté sa piaule, pour partir à la conquête des festivals du monde entier. Récemment de passage à Paris dans les salles de l’Olympic Café et du Pop-up, il jouait ce week-end sur la scène de We Love Green que Migos enflammait quelques heures plus tôt. Hyper en place, Gus et son groupe jouent fort, vite et bien. En live, l’influence r’n’b lo-fi se voit gommée au profit d’une énergie rock’n’roll qui se situe à équidistance du jeu de jambes de Buddy Holly et de la guitare désaccordée de Mac Demarco. Avec en prime une reprise sidérante de Twist and Shout. Trop fort, Gus.
François Moreau
Father John Misty, maître de l’ironie
A l’époque de la sortie de I Love You, Honeybear, son deuxième album, Father John Misty jouissait d’une réputation de dandy iconoclaste. Le genre d’artiste capable de ressusciter tout l’imaginaire rock du Laurel Canyon de Zappa, Joni Mitchell et Neil Young. Sur scène, c’est surtout le souvenir d’un Jim Morrison qu’il convoque, dans sa façon pleine d’emphase de déclamer ses chansons, de faire durer la fin des morceaux et de se jeter à genoux devant un public médusé. Il s’enveloppe aujourd’hui d’une aura plus mystique et se contente de jouer ses tracks, serein quant à l’extrême qualité de son songwriting. Entre deux pics lancés aux fans de Björk, il égraine quelques titres de son dernier album, dont le sublime Mr. Tillman et s’impose sans forcer comme l’un des meilleurs performers en activité. L’un des moments les plus forts et les plus drôles de cette édition 2018 de We Love.
Father John Moreau
Björk n’est plus une chanteuse
Arisen my senses. Le titre du morceau d’ouverture, qui est aussi celui de Utopia, donne le sésame d’un concert de Björk en 2018. L’Islandaise n’est pas là pour décliner son best-of en live, mais bien pour partager une expérience sensorielle déjà privilégiée sur ses derniers albums. Evidemment, lorsque surgissent Isobel et Human Behaviour, les deux seuls tubes rescapés d’une set-list sans concession, la foule gondole plus volontiers et l’osmose est totale. Le reste du temps, ce n’est plus tellement les chansons qui importent, mais bien ce pouvoir ensorceleur intact qui lui permet de masquer les carences mélodiques et l’aspect un peu fumeux de sa philosophie. A We Love Green, Björk est dans son élément, et ses fantaisies écolo-utopistes ne pouvaient rêver meilleur cadre – même si une salle fermée serait plus indiquée pour mieux s’éblouir des visuels panthéistes qui défilent. Parmi les moments de magie absolus, celui où sur l’écran apparaît un nuage orangé, exactement semblable à celui qui plane au dessus de la scène. Björk a tous les pouvoirs, même celui d’assortir son hallucinante scénographie à la beauté hasardeuse du paysage. La délicatesse des orchestrations, la juvénilité conservée de cette maîtresse des éléments, l’impression de flotter dans l’irréel pendant une heure, tout ceci compense largement l’absence de refrains à reprendre en chœur. Il se confirme ainsi que Björk n’est plus une chanteuse, mais bien une installation d’art contemporain en mouvement.
Christophe Conte
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Moha La Squale, le boss
Suivant la maxime « deux salles, deux ambiances », We Love Green avait décidé de rassasier les moins de 20 ans que les flûtes de Björk auraient pu laisser de marbre voire plonger dans un coma profond en programmant au même horaire Moha La Squale. C’est avec la peur de faire une grosse connerie plaquée au ventre que l’on quitte donc Björk au bout de trois morceaux pour se rendre sur la scène de la Canopée. Bien nous en a pris : à peine y est-on arrivé que l’on se prend la décharge Moha La Squale en pleine tête. Il est donc toujours possible en 2018 de faire un bon concert de rap, sincère, honnête, bourré d’énergie et d’une envie d’en découdre avec le public, de lui prouver qu’il n’y a pas que les streams dans la vie. Moha La Squale est né pour la scène. Il le porte sur « sa gueule », mais aussi dans sa façon de se mouvoir avec souplesse et agressivité. Pas de trap ici mais des prod’ old school qui rappellent les grandes heures du rap français nineties et sur lesquelles le kid de la Banane navigue avec une ardeur et une dextérité rares à son âge. Plus tard, lorsqu’on le croisera en loge, le sourire qui l’avait porté tout le concert sera toujours là, accroché à son visage exalté. Moha est radieux, il peut bien, il vient de prouver qu’il était là pour durer.
Carole Boinet
Dr Tyler and Mr The Creator
Dans la nuit de dimanche à lundi, un poids lourd du rap américain s’avance seul sous les clameurs d’une foule déjà conquise et impatiente d’en découdre. L’énergumèneTyler, The Creator, arborant fièrement un impeccable gilet réfléchissant, monte dans les tours dès les premières minutes. Et les partisans du rappeur californien suivent sans attendre. Les refrains des langoureux Where This Flower Booms, Mr Lonely, See you again, 911 mais aussi des rugueux Deathcamp, Who Dat Boy, Fucking Young et I Ain’t Got Time sont repris en cœur. La complicité est totale, superbe, et Tyler alterne hâtivement entre les douces mélodies élevées et un rap saccadé aux rythmiques syncopées. Tyler, The Creator revêt ainsi le costume des divers personnages qui habitent son cerveau et offre une performance théâtrale fascinante, gesticulant comme un être désarticulé avant de reprendre son calme pour se figer droit comme un I dans la seconde qui suit. Schizophrène comme on l’aime.
Osain Vichi