[Track of confinement] Chaque jour, pour survivre au confinement lié à l’épidémie de coronavirus, les Inrocks vous replongent dans un de leurs morceaux préférés. Aujourd’hui, For What It’s Worth, le classique de Buffalo Springfield. A classer dans la catégorie des protest songs.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Une ambiance de film noir, ou de polar à la Thomas Pynchon. La guitare électrique de Neil Young joue deux notes répétées en guise d’introduction, et impose d’emblée une certaine moiteur dans la pièce. Le danger rôde, l’atmosphère est lourde. A l’horizon, au bout du Sunset Strip, les palmiers se confondent avec le reflet de leur silhouette dans un mirage. Comme dans le Red Right Hand de Nick Cave, la menace qui plane ne dit pas son nom : “There’s something happening here / But what it is ain’t exactly clear”, chante Stephen Stills.
On est à Los Angeles, en 1966. Les freaks se rassemblent, Charlie Manson n’a toujours pas accompli son œuvre diabolique (Neil Young chantera l’ignominie du type dans son Revolution Blues de 1974, sur l’album On the Beach), la jeunesse fait peur au vieux monde. Les boomers n’ont alors qu’une vingtaine d’années.
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Couvre-feu
Devenu le thème préféré des cinéastes choisissant comme cadre spatio-temporel le L.A. de la contre-culture naissante, For What It’s Worth synthétise la schizophrénie d’une époque traversée par les discours de paix, les coups de matraque et les émeutes. Les kids, comme le documente Joan Didion dans ses écrits d’alors, commencent à s’agglutiner et à crever dans les rues de San Francisco, et emmerdent le pouvoir, les parents, la guerre. La West Coast est, du point de vue de l’establishment, la destination de tous les beatniks contestataires et parasitaires de la société.
Sunset Boulevard, à West Hollywood, devient, comme le rappelle notre collaborateur Alexis Hache dans son bouquin essentiel Eagles : Life In the Fast Lane, l’épicentre de la scène folk rock : “Dans le sillage des Byrds, une scène folk rock bourgeonnante vient alors s’épanouir sur le Sunset Strip de West Hollywood.” Buffalo Springfield fait partie de cette scène et fait du Whisky a Go Go, à quelques encablures du Château Marmont, son quartier général. Mais en 1966, le temps n’est plus à la déconne. Pour faire déguerpir les hippies et autres bouffeurs d’acide, les autorités imposent un couvre-feu strict : “Cette disposition entraînera des manifestations et des affrontements avec la police à la fin de l’année 1966 et quelques artistes évoqueront même cette révolte en chanson.” C’est le cas de Buffalo Springfield, qui signe ici sa seule véritable protest song.
Le dernier couplet joue sur cette ambiguïté, de ne jamais vraiment nommer l’ennemi. Une façon de le rendre encore plus vil et indicible. Une façon aussi de sublimer la cause.
“Paranoia strikes deep
Into your life it will creep
It starts when you’re always afraid
Step out of line, the men come and take you away”
Eagles : Life In the Fast Lane, d’Alexis Hache (éditions Le mot et le reste)
Retrouvez les épisodes précédents de la série :
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