La “Finnish touch” attire de plus en plus les radars de la mode internationale. Le succès tient en cinq lettres : Aalto, du nom de la prestigieuse école d’art et de design d’Helsinki qui forme des designers hors norme de plus en plus remarqués dans les concours mode internationaux. Son secret ? Une formation décloisonnée au sein de laquelle chimistes, ingénieurs, futurs businessmen et designers de mode se mélangent en toute liberté.
Un vendredi soir de mai, une foule de plus de 1000 personnes se presse à Merikaapelihalli, une ancienne fabrique de câbles électriques reconvertie en centre culturel, située dans le quartier du Länsisatama, au sud-ouest d’Helsinki. C’est dans cet espace imposant, haut de plus de 13 mètres, que les étudiants de École supérieure d’art, de design et d’architecture de l’Université Aalto ont présenté leurs collections de fin d’année lors d’un défilé plus qu’attendu : c’est l’événement mode de l’année à Helsinki.
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L’université Aalto, école du futur
150 looks, 28 designers pour environ 30 minutes de show. Les mannequins avancent au pas de charge comme des professionnels. Peu ou pas de référence directe aux courants mode du moment, rien d’attendu ni de conventionnel. C’est tout l’esprit de l’Université Aalto : éviter le formatage et les étiquettes, favoriser l’expérimentation, l’interdisciplinarité.
L’université est née en 2010 de la fusion de l’université technologique d’Helsinki, de l’école supérieure de commerce et de la fameuse école d’art, de design et d’architecture. Chaque étudiant admis dans une de ces écoles peut piocher des cours dans n’importe quelle discipline. Une forme de chaos organisé dans lequel chimistes, ingénieurs, futurs businessmen et designers de mode se mélangent, en toute liberté.
La recette semble fonctionner : chaque année des diplômés du département mode de l’école d’art sont sélectionnés parmi les finalistes des grands concours internationaux. Le festival d’Hyères est même devenu leur repaire : Cette année, trois des dix finalistes du Festival étaient diplômés de l’école. En 2017, Maria Korkeila remportait la mention spéciale du jury mode. En 2016, Hanne Jurmu et Anton Vartiainen gagnaient le prix Chloé du Festival. On pourrait continuer ainsi longtemps… En 2006 c’est d’ailleurs un certain Tuomas Laitinen en duo avec sa sœur Anna qui remportait la mention spéciale du jury. Il est aujourd’hui responsable du département mode d’Aalto et tous s’accordent pour dire que le succès et la réputation internationale de l’école, c’est grâce à lui.
Tuomas est modeste, pourtant les étudiants ne tarissent pas d’éloges à son égard. Ce créatif pur jus (aussi directeur mode de la revue finlandaise hyper pointue SSAW) n’hésite pas à pousser les designers dans leurs retranchements – pour leur propre bien. “Même après l’obtention du diplôme, Tuomas continue de nous aider, de partager son temps personnel et ses contacts pour nous permettre de nous lancer dans l’industrie, indique Maria Korkeila, élève diplômée de l’école Aalto. Il a un talent exceptionnel pour détecter nos points forts, pour nous pousser dans la bonne direction. C’est un modèle pour tous les étudiants. Il n’est pas seulement une figure clé dans notre processus d’apprentissage, Tuomas joue aussi un rôle majeur dans la promotion de la mode Finlandaise.”
Un jury de choix pour un défilé hors norme
Le défilé vaut le détour, ne serait-ce que pour le travail des matières, incroyablement intéressant comme ce jersey plissé peint à la main, ultra fluide, qui tombe comme du flou (Christine Valtonen) ; ces tresses tricotées assemblées façon crochet (des looks nécessitant des heures et des heures de travail à la main réalisés par Juha Vehmaanperä et sa grand-mère, mise à contribution pour l’occasion !) ou ce nylon ultra fin traité comme de la soie (Antti Peltoniemi). Les accessoires sont tout autant intrigants : packs de bière transformés en sacs de cuir (Emma Saarnio) côtoient chaussures fourrures perlées (Fanni Lyytikäinen).
À l’école, il n’y a pas de salle de cours classique mais une succession d’ateliers dans lesquels se mélangent traditionnels métiers à tisser et imprimantes 3D : les étudiants testent, font et défont, manient les tissus dans tous les sens. Pas de moodboard classique – ces fameux panneaux d’inspiration placardés de clichés Pinterest – sinon une maison de poupée ou un gâteau meringué ! Au premier rang du défilé, on trouve un jury de choc pour remettre le prix de la meilleure collection (appelé prix Näytös 18) composé de Dan Thawley (du magazine A Magazine Curated By), Lotta Volkova (styliste et bras droit de Demna Gvasalia), Felipe Oliveira Baptista (ex-directeur artistique de Lacoste), Camille Bidault-Waddington, Fumiko Imano, Olya Kuryshchuk (du magazine 1Granary) et Alban Adam – tous surpris du haut niveau des étudiants. Ensemble ils remettent le prix à Anni Salonen : ses milliers de torsades de smocks ont fait sensation.
Exporter la mode finlandaise
Parallèlement au show, l’université Aalto et Business Finland (organisation financée à 100% par le gouvernement qui met en contact investisseurs étrangers et entreprises finlandaises) ont organisé de nombreuses visites de showrooms et de rencontres avec les designers pour promouvoir la mode finlandaise auprès d’acheteurs internationaux. Une forme de lobbying assumée pour vanter les mérites de cette fameuse “finnishness”, travail de communication nécessaire pour qu’Helsinki ne soit pas réduit à un laboratoire de recherches international de la mode.
“Les étudiants testent, font et défont, manient les tissus dans tous les sens.”
“Tout l’enjeu actuel est de sortir du marché local et d’exporter notre mode à travers le monde. Le pays est peu fourni en matière d’usines de fabrication. Le gouvernement depuis quelques années commence à soutenir les jeunes designers, tant mieux !” indique Viivi Arela, responsable de la communication de la marque Arela Studio. Pour que tous les spotlights de la mode internationale se braquent définitivement sur la Finlande, il ne manque plus qu’un Demna Gvasalia (né en Géorgie, il a permis de réveiller la mode géorgienne) ou un Gosha Rubchinskiy (qui en a fait de même pour la Russie)… Cela ne saurait tarder.
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