Mercredi 31 octobre, Me Dupond-Moretti et ses associés ont requis l’acquittement d’Abdelkader Merah, le frère de Mohamed Merah, au terme d’un procès de plus d’un mois.
C’est un ballet juridique parfaitement organisé qu’ont livré les avocats d’Abdelkader Merah. Avec pour chef d’orchestre Me Eric Dupond-Moretti, d’abord dans l’ombre puis la lumière, sombre comme à son habitude. Aux deux élèves le déroulé du droit et la bataille des qualifications, au maître l’art oratoire. Et l’outrance. Tous trois ont mené une partition différente tendant à la même chose : l’acquittement du frère de Mohamed Merah accusé d’avoir “sciemment” facilité “la préparation” des attentats de ce dernier, en l’aidant à dérober un scooter et à acheter un blouson utilisés lors des tueries.
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Ils se sont concentrés sur l’écueil majeur contre lequel tous les futurs procès de terrorisme risquent de buter : l’absence de l’auteur des actes et le risque de juger des accusés de substitution. Résumé par cette sentence de Me Dupond-Moretti : “Abdelkader Merah est son frère criblé de balles qu’on ne pourra présenter aux victimes. S’il est là, c’est parce que Mohamed Merah est mort. Si Mohamed Merah était dans ce box, il y serait seul.”
“Entreprise potentiellement terroriste”
Avant cela, presque effacées par les prestations tonitruantes des ténors parisiens, il y a eu les plaidoiries matinales du Toulousain Me Etelin et de l’Agenais Me Martial, conseils de Fettah Malki, l’autre accusé. Contrairement à celles de l’après-midi visant à démolir les chefs d’inculpation et l’ensemble de l’instruction, ces dernières ont porté sur l’absence de l’intention terroriste prouvée du deuxième accusé. Dans une salle comble, les avocats ont attaqué de front l’avocate générale, Naïma Rudloff.
La veille, elle avait conclu un tortueux réquisitoire sur la “potentialité” de la connaissance de Fettah Malki des desseins terroristes de Mohamed Merah. Une potentialité sur laquelle l’avocate générale a requis vingt ans de prison contre le délinquant des Izards. Me Elerin et Martial ont concentré les coups sur cette qualification de l’avocate générale.
Ils se sont indignés que les débats aient plus porté sur Mohamed Merah que sur leur client, Fettah Malki, receleur présumé du Uzi qui a servi au tueur de Toulouse et de Montauban pour perpétrer ses tueries.
Ils ont regretté le risque d’une “décision rendue au nom d’une raison d’Etat”, plaidant le parcours d’un délinquant qui connait mieux “les caves” de sa cité que les sourates du Coran. Avant de conjurer les juges de ne pas faire de Fettah Malki “un exemple”. Les enjoignant, en conclusion, à condamner leur client “pour ce qu’il a fait” avec des preuves.
Abdelkader Merah encourt la réclusion criminelle à perpétuité
Mais ce n’était ni les avocats de Fettah Malki ni ce dernier les plus attendus. Parents pauvres de l’histoire, ils ont donné l’impression de ne briller que pour éclairer la suite. La file d’attente fournie devant la salle d’assise spéciale dès 8 heures et la centaine de personnes réunies devant la retransmission dans une galerie annexe du palais ne s’y trompaient pas. Tous étaient là pour entendre la défense d’Abdelkader Merah qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Tous étaient là pour entendre Me Dupond-Moretti.
C’est son jeune collaborateur, Me Archibald Celeyron qui a déroulé la première mesure. L’avocat d’une trentaine d’années s’est attaqué à la qualification de “vol en réunion” du scooter T-Max, l’une des raisons pour laquelle Abdelkader Merah est jugé. Avant cela, il a tenté de déconstruire la relation entre les deux frères, rappelant leurs brouilles passées, les mails échangés via un intermédiaire, rendant impossible selon lui une “préparation” orchestrée par le grand frère.
“Une fragilité sans nom”
Avec une ironie non-dissimulée, il a tiré à vue sur une instruction visiblement menée à charge, fondée sur une “construction intellectuelle”, faite pour “accrocher” l’accusé. S’évertuant à démontrer qu’Abdelkader Merah n’avait pas touché au scooter sur lequel son frère a perpétré ses tueries, annihilant ainsi toute matérialité de l’infraction. “Si Abdelkader Merah n’est pas coupable de vol, c’est tout le château de carte qui tombe.” Et de poursuivre : “En quatre ans, on a un blouson et un scooter, c’est d’une fragilité sans nom !”
Fixant ensuite les juges, il a lâché ce qui a sonné comme un choc sourd dans la salle. Certaines parties civiles se sont plaquées la main sur la bouche, horrifiées. “Vous allez faire ce que vous faites tous les jours. Vous allez appliquer le droit, rendre justice dans le respect de nos règles, les mêmes pour tous justiciables, fussent-ils haïssables. Et parce que vous appliquez le droit, vous allez acquitter Abdelkader Merah.”
Rigueur juridique
Me Antoine Vey, 33 ans, a pris la suite de son confrère. L’associé de Dupond-Moretti s’est attaqué à la qualification d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Il a rappelé la construction de cette infraction, la succession des lois antiterroristes qui jalonnent le droit français. Il a dénoncé leurs écueils avant de se pencher sur le cas de son client, niant les liens présumés qui le rattachent à Al-Qaïda.
La force de ces deux plaidoiries résidait dans leur rigueur juridique contrairement à celles des parties civiles et au réquisitoire plus rhétoriques. Face à une cours d’assises spécialement composée, sans jury populaire, ils se sont adressés à des juges professionnels. Me Celeyron et Vey ont matraqué une à une ce que le second a appelé des “preuves par le vide”, sans céder au pathos. Citant à chaque phrase les cotes des pièces des cent dix-sept tomes de procédure qui bâtissent une instruction qui semblait bien fragile sous les coups de boutoir des deux avocats.
Règlement de comptes
C’est Me Dupond-Moretti qui a conclu plusieurs heures de plaidoiries. Il s’est d’abord adressé aux victimes et à leurs familles, leur exprimant “avec respect sa compassion”, leur assurant que “rien n’atténuera le goût du sang et du vomi”. Avant de prévenir d’emblée. “L’acquittement sera vécu comme une injure.” “Je n’ai plus grand chose à plaider”, a-t-il ensuite expliqué louant un peu lourdement les performances de ses deux “gamins”.
Rien à plaider ? Sur le fond peut-être. Alors, l’homme à la robe s’est jeté sur la forme, lancé dans une plaidoirie tonitruante. Il a accusé, frappé, mordu, serré et déchiqueté tout ce qui passait sous ses dents. A ses “deux gamins” la procédure, à lui le procès politique. Quitte à tomber parfois dans le règlement de comptes.
Plaidoirie personnelle
De sa voix grave, il a évoqué Nuremberg où des proches d’Hitler avait été acquittés, a cité une longue partie de la plaidoirie de Robert Badinter lors du procès de Patrick Henry à qui l’ancien garde des sceaux a évité la guillotine. Le ténor a mis en garde contre la vengeance, ennemie jurée de la justice, contre ce procès sans preuves tangibles où l’on juge un frère à la place d’un autre. Il s’est attaqué à l’opinion publique, aux dérives de la justice de l’état d’urgence.
Avant de tenter de prouver, s’égarant parfois, la beauté de défendre l’indéfendable. “Etre avocat, ce n’est pas justifier, c’est d’empêcher la haine d’être à l’audience.” Il a livré une plaidoirie assez personnelle, ponctuée d’anecdotes privées et de propos un brin outranciers. Parlant de sa mère, puis de sa grand-mère lors d’histoires où l’on s’est parfois un peu perdu.
“Si vous condamnez Abdelkader Merah, vous aurez jugé, mais vous n’aurez pas rendu justice”
Il s’est qualifié lui-même, en écho d’attaques de ses confrères à son endroit, de “honte du barreau”. Narquois, il a assuré que “parfois, le crachat sur une robe d’avocat, c’est mieux qu’une légion d’honneur”. Il a taxé les avocats des parties civiles “de procureurs de droit privé”, a qualifié le réquisitoire de la veille de “ratatouille” “médiocre”.
Et sur le même ton que ses “deux gamins”, il a terminé à l’adresse des magistrats : “Si vous condamnez Abdelkader Merah, vous aurez jugé, mais vous n’aurez pas rendu justice.”
Les quatre juges professionnels doivent rendre leur verdict jeudi. Et mettre un point final aux plus de cinq ans de procédure du premier attentat terroriste moderne de l’hexagone. Fettah Malki encourt vingt ans de prison et Abdelkader Merah, la réclusion criminelle a perpétuité avec vingt-deux ans de sûreté.
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