Face à un système souvent accusé de creuser les inégalités raciales, de plus en plus de d’afro-américains inscrivent leurs enfants dans des écoles dites “afrocentrées”.
Sur la porte d’entrée, un portrait de Martin Luther King. Dans les couloirs, un cliché de la famille Obama, des masques africains, des toiles en wax. Dans chaque classe, une dizaine d’enfants noirs… Bienvenue à Little Sun People. Cette maternelle du quartier populaire de Bedford-Stuyvesant à New York est une école “afrocentrée”.
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“Ici, nous mettons l’accent sur l’Afrique, la culture africaine, l’histoire des Noirs aux Etats-Unis”, explique Fela Barclift, sa fondatrice et directrice. “Que ce soient les maths, les sciences, même les comptines, l’enseignement se fera toujours avec ce prisme africain.”
“On m’a seulement appris que mes ancêtres étaient des esclaves”
Ce matin là, pendant que certains petits s’exercent au djembé, d’autres jouent avec des poupées aux cheveux afro. L’objectif est que les enfants connaissent leurs origines, et soient fiers de leur identité. Selon Fela Barclift, “notre société bombarde constamment ces enfants de messages négatifs. On leur explique qu’ils ne sont pas beaux, qu’ils ont un problème, qu’il y a des limites à ce qu’ils peuvent faire. Nous, on leur dit qu’ils peuvent tout réussir.”
Après sa propre scolarité traumatisante, Fela Barclift a eu l’idée de fonder cette école. “Quand j’étais enfant, se souvient-elle, on nous traitait de nègre à l’école. Mes frères et sœurs se faisaient frapper, cracher dessus par leurs camarades, mais aussi par certains parents blancs.” Pour elle, même l’Histoire enseignée a joué un rôle dans le fait qu’elle a mis des années à se réconcilier avec son identité.
”On m’a seulement appris que mes ancêtres étaient des esclaves, c’est tout, rien de plus, raconte-t-elle, émue, alors qu’il y a eu des personnages qui ont marqué l’histoire même pendant cette période-là. Mais ça, on ne nous l’enseigne pas.”
De plus en plus de parents afro-américains se tournent vers ces écoles
Au début des années 80, lorsqu’elle devient maman à son tour, Fela Barclift veut que sa fille ait accès à environnement positif. “J’ai dû visiter plus d’une dizaine d’établissements, aucun n’avait une seule poupée noire ou un livre avec des personnages de couleur.” La jeune maman installe alors une première petite école dans sa maison. A Little Sun People, dit-elle, “les enfants se voient eux-mêmes, sur les murs, dans les livres, en jouets”.
Depuis, des centaines d’enfants sont passés par sa maternelle. Des établissements similaires ont vu le jour à New York, mais aussi à Chicago, Washington et San Francisco. Et de plus en plus de parents afro-américains se tournent vers ces écoles qui, selon eux, assurent de meilleures bases à leurs enfants dans un système “qui souffre encore d’inégalités raciales”.
A New York, ville multiculturelle, le système éducatif est souvent pointé du doigt par les associations et même l’Education nationale. Deux tiers des enfants en âge d’être scolarisés sont noirs ou latinos. Pourtant, dans les écoles publiques ayant les meilleurs programmes, trois élèves sur quatre sont blancs.
“Avoir eu un président noir n’a pas mis fin au racisme”
“Dans ce pays, les Noirs, surtout les garçons, n’ont pas les mêmes chances que les autres, à l’école, devant la justice. Je voulais un endroit où mon fils se sente aimé et respecté”, confie Rashaun Yorrick, père d’un garçon de 5 ans.
“Je veux que ma fille connaisse l’Histoire des Afro-Américains, l’Histoire entière, pas uniquement les petits bouts enseignés dans les écoles classiques”, explique Marlon Rice, père d’une fillette de 5 ans. Son épouse ajoute : “Cet enseignement leur permet d’aller, ensuite, dans d’autres écoles en ayant toutes les cartes en main pour réussir.”
Little Sun People accueille aujourd’hui une soixantaine d’enfants de 2 à 5 ans. Et trois cent autres sont sur liste d’attente. L’école est ouverte à tous sans distinction. Certains élèves sont latinos ou viennent d’autres communautés, même s’ils restent très minoritaires.
Quand on lui demande s’il ne s’agit pas d’un recul par rapport au combat des afro-américains contre la ségrégation, la réponse de Mama Fela, comme tout le monde l’appelle ici, est sans appel : “Ce serait un retour en arrière si les choses avaient évolué. Les enfants noirs ont le droit d’aller dans les mêmes écoles que les enfants blancs, mais à part ça, rien n’a vraiment changé. On nous tire dessus dans la rue, on nous condamne à des peines plus lourdes. Avoir eu un président noir n’a pas mis fin au racisme dans ce pays.”
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