Pour le deuxième temps de la célébration de son trentième anniversaire, le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne accueille dans ses murs, après Anish Kapoor, deux artistes “locaux” dont la jeunesse stéphanoise fut un moment de propulsion créative : Valérie Jouve et Jean-Michel Othoniel, nés la même année, en 1964.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Pour l’une comme pour l’autre, la présence dans ce musée a valeur de double retour : affectif, d’abord, en ce qu’il réactive des souvenirs d’enfance, et créatif, ensuite, en redéployant un geste hanté par toutes les expériences accumulées depuis leurs débuts. Comme si, revenant à Saint-Etienne, ils faisaient le point sur leur parcours, sur ce qui hante leur travail.
Une mise en question du monde par l’image
Au MAMC, la photographe Valérie Jouve expose ainsi quelques-unes de ses premières images, captant le paysage à la fois architectural (le quartier de Firminy-Vert dessiné par Le Corbusier) et social (l’habitat ouvrier) de son environnement quotidien. Mais plutôt qu’une exhumation de ses travaux fondateurs, dont une célèbre série de portraits de jeunes filles dans leur quartier d’habitation périphérique, l’artiste se prête à un subtil exercice de montage (à travers un très bel accrochage) entre des photographies disséminées dans le temps (des années 1990 jusqu’à aujourd’hui), sans prendre la peine de les dater ni de les légender.
“La reconnaissance du lieu affaiblit, me semble-t-il, la capacité de l’image à questionner le monde”, avoue-t-elle, préférant à la tradition strictement documentaire celle, plus secrète et anthropologique, d’une mise en question du monde par l’image. Valérie Jouve porte un regard frontal sur la vie qui s’agite en douce dans des lieux parfois sans aspérité, des lieux de mémoire à demi éteinte.
L’artiste interroge les aléas du vivant par son regard quasi matérialiste porté autant sur des murs que sur des visages, des machines que des arbres…
La réflexion induite par ses images se concentre sur ce qui nourrit indiciblement les “formes de vie”, expression en vogue chez beaucoup de philosophes contemporains, que Valérie Jouve fait sienne dans son exposition stéphanoise. Sans jamais chercher à “sacraliser” le geste photographique en soi, l’artiste interroge les aléas du vivant par son regard quasi matérialiste porté autant sur des murs que sur des visages, des machines que des arbres…
Le sentiment de grande vitalité qui se dégage de ses photographies tient à ce que les individus semblent ajuster leur place précisément dans leur environnement naturel. C’est lorsque cet ajustement se brise que quelque chose d’une dislocation se joue : un point aveugle que ses images rendent visible. L’exposition, aussi ouverte à toute indétermination explicative que précise dans l’agencement de ses récits, restitue le regard et l’expérience poétique de Valérie Jouve à la mesure de ses mystères incarnés.
Une vague couleur charbon
De son côté, l’autre Stéphanois de l’étape, Jean-Michel Othoniel, qui avoue que le musée fut à la source de sa vocation d’artiste quand il le visitait enfant, expose dans sa grande salle une immense vague (The Big Wave), haute de 6 mètres et longue de 15 mètres, entièrement composée de briques en verre noir, qui évoquent les murs de sa ville natale, autrefois noircis par la poussière de charbon.
La vague, menaçante comme un tsunami, ou protectrice comme une matrice et une grotte, fait face, à la manière d’une divinité tellurique, au visiteur étourdi par l’obscurité irradiante. En miroir de deux œuvres de jeunesse, cette vague exprime autant les souvenirs hantés d’une catastrophe que le rêve, sinon le désir, de se laisser submerger par plus haut que soi. De Jouve à Othoniel, ce sont des poussières de vie et de mort qui hantent magistralement le musée de Saint-Etienne pour ses 30 ans.
Formes de vies de Valérie Jouve ; Face à l’obscurité de Jean-Michel Othoniel, jusqu’au 16 septembre, musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}