Sous la direction de Marie Rémond, la troupe de la Comédie-Française redonne vie au tournage interrompu d’un scénario du maestro.
A l’instar de Lewis Carroll propulsant Alice de l’autre côté du miroir, Federico Fellini nous invite avec Le Voyage de G. Mastorna à suivre les tribulations d’un violoncelliste célèbre qui, après avoir survécu au crash d’un avion, prend peu à peu conscience que le monde dans lequel il se réveille n’est plus celui des vivants. Ecrit en 1965 par le réalisateur, le scénario maudit ne deviendra jamais un film.
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Il demeurera toutefois une véritable obsession pour le magicien de Rimini, qui va puiser dans son matériau surréaliste pour l’inscrire secrètement au cœur de ses œuvres à venir.
Puzzle d’images
Ainsi, de Satyricon (1969) à Roma (1972) en passant par Répétition d’orchestre (1978), Et vogue le navire (1983), Ginger et Fred (1986) et La Voce della luna (1990), la liste des références au script resté dans les cartons donne la mesure de la volonté de Fellini de surmonter l’échec initial en l’érigeant en clef de son inspiration à travers la construction au long cours d’un puzzle d’images proches du subliminal.
Consciente qu’il serait vain de prétendre rivaliser avec la démesure des visions felliniennes sur grand écran, Marie Rémond abandonne l’idée de représenter le scénario et construit sa pièce à la manière d’un documentaire nous plongeant dans les coulisses du tournage des premières bobines d’essais réalisés en studio.
Disposant de nombreuses sources littéraires et du storyboard de Fellini, devenu une bande dessinée sous le crayon de Milo Manara, la metteure en scène approche son objet d’étude sous l’angle d’un bras de fer entre l’auteur et son inconscient.
Le portrait d’un cinéaste piégé par la fiction
Les spectateurs étant installés sur des gradins répartis de part et d’autre de la scène, l’épique du tournage avorté se découvre en close-up. En écho des gags d’un film de Laurel et Hardy projeté dans la carlingue de l’avion qui n’arrive jamais à bon port, les comiques prises de bec entre le maestro (Serge Bagdassarian) filmant son héros que jouait Marcello Mastroianni (Laurent Lafitte) tiennent des dialogues cruels entre un clown blanc et un auguste.
Derrière l’humble magie de cette piste rectangulaire et sans jamais se départir du ton léger de la comédie, Marie Rémond sonde avec une extrême sensibilité le vague à l’âme qui submerge bientôt le réalisateur, âgé de 45 ans, qui se voyait en éternel abonné de la réussite. Tandis que le décor s’écroule accidentellement et que la puissance créative de Fellini vacille, se dessine le portrait troublant d’humanité d’un homme piégé par une fiction où il avait simplement pensé pouvoir imaginer sans tabou l’existence de rapports complexes entre la vie et la mort.
Le Voyage de G. Mastorna d’après Federico Fellini, mise en scène Marie Rémond, avec la troupe de la Comédie-Française. Jusqu’au 5 mai, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe
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