Kurt Cobain est décédé il y a tout juste 25 ans, le 5 avril 1994. Pour lui rendre hommage, retour sur l’un des concerts les plus iconiques de Nirvana, le 30 août 1992, au festival de Reading, pas loin de Londres.
Dans l’imaginaire collectif, Kurt Cobain reste souvent associé à un petit oisillon mal en point, un enfant de parents divorcés, aux obsessions morbides et au mal être porté en bandoulière comme un critère d’authenticité punk qui dégueulait ce qui se rapprochait de près ou de loin de la notion de starsystem… C’est sûrement aller un peu vite en besogne. On pourra à ce titre en vouloir un peu au documentaire pénible Montage of Heck, monté par sa veuve et vomi par ses anciens potes (notamment Buzz Osborne des Melvins qui le qualifia de “ramassis de conneries à 90%”). Pas mieux non plus à retirer du biopic fictif réalisé par Gus Van Sant avec un ancien acteur de Dawson’s Creek, Last Days, qui peut certes se targuer d’une jolie photographie mais qui semble effleurer 0,5% de la personnalité du chanteur (cheveux gras, chemise à carreaux).
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Drôles de sauveurs du rock
Une preuve de la part d’ombre de Cobain et de sa capacité à jouer des attentes du public et des médias se trouve probablement dans le concert, désormais mythique (pour le meilleur et pour le pire) que Nirvana donna au festival de Reading le 30 août 1992, sans probablement se douter que ce serait leur dernière apparition live au Royaume Uni.
A cette époque, Nirvana surfe sur la sortie de Nevermind, album au succès gigantesque produit par Butch Vig et premier disque pour la major Geffen Records. Cobain devient l’idole d’une génération (et des cinq suivantes). Le groupe remet les pendules à zéro de la musique mondiale, coupant l’herbe sous le pied à l’infâme vague du hair metal (symbolisée par Axl Rose, avec qui Cobain n’est pas vraiment pote). Il n”y a plus guère que le gangsta rap pour détourner alors l’attention des médias.
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Ceux-ci justement ont les yeux rivés sur le chanteur, prêts à dégainer à tout instant une nécro ou un article incendiaire sur son style de vie. Depuis sa rencontre avec Courtney Love en 1990, Cobain forme avec la chanteuse un couple glamour mais qui déplaît à une bonne partie de l’Amérique puritaine et ses péquins moyens. En 1991, le chanteur découvre les “joies” de l’héroïne lors d’un séjour à Amsterdam avec sa douce. Poussé par des douleurs chroniques à l’estomac (dont personne ne trouva jamais l’origine), il décide de s’administrer le calmant le plus fort qu’il trouve, directement en intraveineuse.
« Si je dois me tuer, autant le faire pour une bonne raison »
“Mon comportement devenait complètement névrotique à cause de ces douleurs incessantes. Les gens que je fréquentais n’avaient pas idée de ce que j’endurais. C’est la douleur qui alimentait mes penchants suicidaires. J’ai décidé en quelque sorte de prendre ma vie en main.Si je dois me tuer, autant le faire pour une bonne raison, plutôt que pour de stupides maux d’estomac. C’est ainsi que j’ai décidé de me livrer à tous les excès en même temps”, confiait ainsi le chanteur à Michael Azzerad, journaliste à Rolling Stone et biographe officiel de Nirvana.
L’héroïne, à cette époque commence d’ailleurs à faire des ravages dans la scène rock. “Party like it’s 1970 again” ?. Sauf que la came est de bien meilleure qualité, évidemment. Une tournée en première partie des Red Hot Chili Peppers et Pearl Jam entérine l’addiction de Cobain en 1991. « Tout le monde se figurait que c’était Courtney qui avait entraîné Kurt sur la pente fatale de l’héro. C’était facile de tout mettre sur son dos », confiait Shelli, la femme de Kirst Novoselic (qui partait souvent en tournée avec le groupe), à Azzerad. “C’était une idée de moi”, raconte Kurt au journaliste qui affirme de son côté dans son livre Nirvana, histoire d’un mythe que “ce scénario de la faute à Courtney collait parfaitement avec le très commode stéréotype de la salope dominatrice qui mène son homme lavette par le bout de nez ». Et de rappeler, qu’en effet, il n’est pas simple d’obliger quelqu’un à se shooter.
La graine est plantée dans les esprits publics et c’est la chanteuse qui est toute désignée pour prendre le rôle du méchant garnement qui emmène Pinocchio au pays des excès. Cette image sera définitivement entérinée par une interview qu’elle donnera à Vanity Fair en 1992, dans laquelle elle racontera ses comportements excessifs liés à la drogue à l’époque où elle portait leur bébé.
Retour à Reading
De retour à Reading, Cobain est lassé de voir les rumeurs qui circulent dans les médias et qui les annoncent lui et Courtney mourant, et leur bébé déformé par l’addiction de sa mère (étant donné les overdoses et les séjours en rehab de luxe à cette époque on peut comprendre certaines inquiétudes). Il décide alors de jouer un petit tour au public qui attend de pied ferme sa nouvelle idole.
Il demande à son pote journaliste Everett True de l’emmener sur scène en chaise roulante, finit par s’écrouler, avant de reprendre sa guitare et de donner 1h37 de concert épique devant une foule évidemment conquise. Ce concert devient l’occasion de goûter son nouveau statut de personnage public, d’adresser ces fameuses rumeurs et demander au public de scander “Courtney we love you”, tout en dédicaçant un morceau à sa fille de 12 jours. Une anecdote assez marrante a d’ailleurs été racontée par Jennifer Finch de L7, présente ce jour là, au magazine Clash : “J’ai vu Kurt appeler Courtney avec un téléphone portable pour lui raconter du côté de la scène. Ce qui venait de se passer était dingue et pourtant mon regard était rivé sur ce téléphone : c’était la première fois que j’en voyais un.”
Le concert est à l’image du groupe à cette époque : électrique et plutôt chaotique. Les échanges entre Krist Novoselic et Kurt, son meilleur ami racontent beaucoup de choses sur l’état de Nirvana avant de monter sur scène. “C’est notre dernier concert… Enfin jusqu’au prochain. Tu veux faire un nouveau disque ?”, adresse le chanteur à son pote bassiste. En vérité le groupe est alors au bord de l’effondrement. Kurt s’est installé à Los Angeles avec Courtney, alors que les deux membres de sa section rythmique sont restés à Seattle. Cobain commence à douter : “je ne sais vraiment pas s’ils peuvent rester à la hauteur” confie-t-il à Azzerad. “Chris ne s’entraîne pas assez et le jeu de Dave manque d’imagination. Ils ne prennent jamais l’initiative, ils ne font que suivre.“
Un peu plus tôt dans l’année 1992, Cobain demande à modifier la répartition des royalties (qui étaient jusqu’ici versées de manière équitable entre les trois musiciens). Et compte bien faire valoir une clause de rétro-activité sur les recettes énormes de Nevermind. Il reste injoignable pendant de longues périodes, préférant la compagnie de sa seringue et de Courtney Love à celle de ses potes de Nirvana.
La suite on la connait. Le trio sort In Utero l’année suivante et rencontre un succès énorme, avant d’être stoppé en plein vol par une overdose de Cobain (finalement pas si en forme que ça) à Rome. De retour aux Etats-Unis, celui-ci finit par s’échapper de cure de désintox et se suicide le 5 avril 1994. Sans que l’on sache s’il y fut poussé par ses maux d’estomac ou son addiction à l’héroïne. Le concert de Reading reste une belle occasion de garder l’image du sale gosse punk qu’était Cobain. “C’est le truc que personne n’a compris chez Kurt : il était le maître pour mener les gens en bateau. » Le mot de la fin est pour Buzz Osborne.
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