[Les industries culturelles face au confinement #1] Nous débutons une série d’articles sur les stratégies déployées par l’industrie du spectacle pour lutter contre les conséquences de l’épidémie de coronavirus par une enquête sur le devenir des films qui venaient de sortir au moment de la fermeture des salles. Quelles perspectives pour les faire exister ? Plusieurs distributeurs de cinéma se sont exprimés sur la question.
Samedi 14 mars, afin de limiter la propagation du virus Covid-19, le gouvernement annonçait la fermeture de tous les lieux publics « non indispensables », parmi lesquels les salles de cinéma. En quelques jours, le débat concernant les nombreux reports de dates de sorties de films (Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga, Pinocchio de Matteo Garrone mais aussi Le Sel des Larmes de Philippe Garrel et bien d’autres) initialement prévus pour les mois de mars et d’avril, devenait obsolète. La semaine dernière encore, une large partie de la profession, très inquiète des conséquences qu’une telle décision provoquerait (effondrement du marché, fragilisation des plus petites structures…), espérait que l’ouverture des cinémas serait maintenue. Désormais, les interrogations se portent sur les films à l’affiche dont l’exploitation a été stoppée nette ainsi que sur ceux dont les sorties prochaines avaient été maintenues : comment leur permettre d’exister au-delà des écrans de cinéma ? Plusieurs hypothèses sont à envisager.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si l’on en croit le tweet du directeur de Memento Films, Alexandre Mallet-Guy – qui au début du mois de mars adressait une lettre ouverte incitant les membres de la profession à sortir les films pour éviter « une dangereuse spirale de la baisse de la fréquentation, à coups de fermetures de salles et reports de sorties » – La Bonne Epouse de Martin Provost devrait connaître une nouvelle vie en salle lorsque celles si réouvriront. Sorti la semaine dernière sur les écrans, le film réalisait le meilleur démarrage parisien pour un film français de l’année avec 2 238 entrées sur 31 copies, arrêté aujourd’hui au seuil des 170 000 tickets vendus.
On va organiser une ressortie le jour de réouverture des salles. On compte sur le soutien de tous à ce moment-là, exploitants, média.. On aura près de 200.000 entrées en avant-première.
— Alexandre Mallet-Guy (@alexmemento) March 14, 2020
En revanche, cette possibilité de reprogrammation ne semble pas à la portée de tous. Elle paraît difficilement envisageable pour les films plus fragiles comme Trois Etés de Sandra Kogyt sorti lui aussi mercredi dernier sur les écrans. Contactée par les Inrocks, Laurence Gachet, directrice de Paname Distribution, explique :
La VOD seule alternative ?
« Les ressorties sont possibles sur une grosse échelle mais sur des films avec des budgets plus modestes c’est plus compliqué. Trois étés est un film relativement fragile qui n’a pas une promotion suffisamment retentissante pour que ça marque les esprits et pour que l’on puisse décider de reprogrammer la sortie dans trois mois. Cela supposerait de dépenser de l’argent à nouveau, des frais d’édition. Or quand on est une société indépendante de petite taille, on n’a pas les moyens de payer deux fois une sortie de film. On envisage la VOD mais ça n’est pas une décision que l’on peut prendre nous-même, de manière unilatérale. Les discussions sont en cours sur la possibilité de bousculer la chronologie des médias, qui d’ordinaire exige une durée de trois à quatre mois entre la sortie salle et une distribution en VOD. Nous saurons s’il est possible que la sortie en VOD ait lieu tout de suite. Dans l’immédiat c’est la seule alternative, il n il n’y a pas d’autres moyens de les exposer.«
La semaine dernière, le CNC après discussion avec le ministère de la Culture ainsi que plusieurs représentants syndicaux des exploitants et distributeurs de cinéma, annonçait l’application de diverses mesures pour venir en aide aux nombreux professionnels impactés par l’épidémie, alors même que les salles de cinéma étaient toujours ouvertes. Dans un communiqué, en complément des mesures prescrites par le ministère de l’économie et des finances (chômage partiel, délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales prolongés…), le CNC annonçait également la modification de diverses pratiques financières censées soutenir les différentes filières cinéma avec, entre autres, le paiement accéléré, dès mars, des subventions art et essai pour les établissements concernés.
Contacté par les Inrocks, le CNC n’a pour l’heure pas été en mesure d’annoncer les modalités mises en place pour permettre aux films de poursuivre leur exploitation. Certains distributeurs, dont les films ne sont pas encore sortis (par conséquent pas encore soumis aux règles de la chronologie des médias) ont dès à présent pris la décision de passer à une offre VOD. C’est le cas de Shellac. Leur film Monsieur Deligny, vagabond efficace prévu pour le 18 mars, sortira uniquement en ligne le 25 mars. Là aussi, le CNC devrait logiquement intervenir pour que les distributeurs ne soient pas pénalisés par ce type de manœuvre.
« On aura besoin des salles à la réouverture »
Mais le passage du grand au petit écran ne semble pas faire l’unanimité au sein de la profession. Il pourrait même s’entendre comme un argument de plus pour ceux qui militent pour un assouplissement de la chronologie des médias, face à ceux qui, au contraire, y voit une fragilisation des salles de cinéma.
{"type":"Banniere-Basse"}