Après avoir filmé l’apocalypse le 11 septembre, les frères Naudet consacre un docu-série en trois parties chronologiques sur les attaques terroristes survenues à Paris la nuit du 13 novembre 2015. « 13 Novembre : Fluctuat Net Mergitur » donne la parole à ceux qui ont survécu aux attentats, aux pompiers, forces de l’ordre et responsables du gouvernement en place.
Il y a bientôt dix-sept ans, Jules et Gédéon Naudet réalisaient un documentaire sur les pompiers de new York, leur ville d’adoption. Ils étaient en train de tourner le matin du 11 septembre 2001 dans un camion, auprès d’une équipe appelée pour une fuite de gaz.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
La suite est connue. Deux avions détournés par des terroristes à la solde d’Oussama Ben Laden pénétraient les tours du World Trade Center, les frères filmaient des images ahurissantes dont ils allaient tirer le documentaire New York : 11 septembre, comme une apocalypse vue de l’intérieur. Un film d’action(s).
Une œuvre de paroles et d’écoute
Cette fois, les désormais quadragénaires ont réalisé un film de paroles. Dans 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur, les images des attaques sur Paris – des vidéos tremblantes prises avec des téléphones, pour la plupart – ne prennent pas une place particulièrement centrale. Nous les avons déjà vues, et si ce n’est pas le cas, nous avons eu l’impression de les voir, dans le flux des vidéos virales qui circulent sur les réseaux sociaux.
L’important, ici, se trouve dans une forme de distance. Une distance que les frères Naudet ont d’abord vécu dans leur chair, puisqu’ils n’étaient pas présents à Paris le 13 novembre 2015. Comme beaucoup, ils se sont inquiétés pour leurs proches ou leurs amis. Comme beaucoup, ils ont écouté les récits parsemant les médias. Ils ont ensuite attendu plusieurs mois avant de se rendre à l’évidence : les échos avec leur propres expérience traumatiques étaient trop forts. Ils devaient filmer, créer un bloc d’images et de sons à la hauteur de leur émotion.
13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur, le docu-série en trois parties que Netflix met en ligne ce 1er juin, est donc le contraire d’une immersion figurative prise sur le vif. C’est une œuvre d’écoute, construite autour d’une quarantaine de témoignages de femmes et d’hommes impliqué.e.s durant cette nuit de cauchemar. Cela va des responsables politiques (François Hollande, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur de l’époque, Anne Hidalgo) aux membres de services publics comme les pompiers ou la BRI, en passant par de nombreu.x.ses survivant.e.s. Une égalité absolue de parole s’opère. Sans affèterie, la série se déploie de manière simple et efficace, en suivant la chronologie heure par heure : les deux bombes du Stade de France, les mitraillages de terrasses des dixièmes et onzième arrondissements – Le Carillon, Le Petit Cambodge, La Bonne Bière, Casa Nostra, La Belle équipe, Le Comptoir Voltaire – puis le carnage du Bataclan, qui occupe la majorité des deuxième et troisième épisodes. À chaque fois, le dispositif est le même. Sur un fond sobre, des témoins directs s’expriment et racontent, dans le détail, parfois geste par geste, ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont fait.
Rester debout
Après avoir filmé l’apocalypse le 11 septembre, les frères Naudet nous aident à l’entendre et à l’imaginer, en n’utilisant aucune musique et en laissant longuement les unes et les autres décrire le son des balles, parfois les cris de douleur, plus souvent le silence des décédé.e.s. et de celles et ceux qui n’ont plus eu la force de parler. Deux personnes font une référence directe à L’Enfer de Dante pour évoquer la fosse du Bataclan constellée de cadavres, où les vivants et les morts s’empilaient sans qu’il soit toujours possible de les discerner. Certain.e.s racontent comment ils s’en sont sortis, à défaut de comprendre pourquoi. Un geste, une décision, et c’est la vie. Un autre geste, une autre décision, et c’est la mort. « Je vois la mort« , déclare un jeune homme qui parle au présent de ce qu’il ressentait. « À ce moment-là, j’espère que mon appartement est bien rangé pour que quand mes parents devront s’en occuper, ils n’aient pas trop de travail« , explique un autre survivant, qui nous serre le cœur.
C’est là que le documentaire impressionne, dans sa description d’une expérience des limites. Les entretiens ont parfois duré quatre heures, après des négociations entre les réalisateurs et les intervenant.e.s étalées sur plusieurs mois. En confiance, chacun.e raconte avec une profondeur qui force le respect son dénuement face à l’urgence de se comporter en humain face à l’inhumain – les assaillants ne sont pas nommés, sauf à deux moments, dans le récit de la prise d’otages qui a eu lieu au balcon du Bataclan. À propos de la décision de donner l’assaut en fin de soirée, prise la peur au ventre, Bernard Cazeneuve a cette phrase puissante : « Le but n’est pas seulement de neutraliser des criminels, c’est de faire en sorte que la République demeure debout. »
13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur montre ce que veut dire rester debout. En tissant à travers les témoignages une parole collective, le docu-série remplit une fonction cathartique. Dès qu’il s’éloigne de la description pure, il lui arrive de trébucher dans un sentimentalisme moins intéressant, comme dans les dernières minutes plus flottantes, où tout semble asséché à force d’intensité. Pourtant, ces défauts n’ont presque aucune importance. Non seulement une forme de mémoire multiple (déjà construite ailleurs à travers des livres et des films consacrés au 13 novembre, mais de manière moins massive) se révèle ici, mais le documentaire révèle aussi quelque chose du rapport collectif de l’époque aux paroles des victimes. Tout à coup, celles-ci commencent à être entendues. Ce sont elles, dans leur diversité, qui tiennent le devant de la scène. Il y a eu 129 mort.e.s le soir du 13 novembre 2015 à Paris (130 au total, une semaine plus tard), des centaines de blessé.e.s et des milliers de traumatisé.e.s. La fuite des terroristes dans les jours qui ont suivi n’est pas évoquée dans 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur. Ce sont les tueurs qui restent hors-champ.
Le documentaire en trois parties 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur est disponible le 1e Juin sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}