Avec près de huit millions de fans, Santé Plus Magazine est l’un des médias les plus présents sur Facebook en français. En décembre, il a été celui qui a généré le plus d’interactions et de discussions sur le réseau social. Pourtant ses articles relaient rumeurs, prescriptions dangereuses et allégations sexistes.
« Ce médecin est menacé car il a présenté cette boisson qui permet de mincir même pendant le sommeil » ou bien « ce vaccin pourrait provoquer l’autisme » ou encore « sept aliments qui provoquent le cancer »… Ce genre de titres pullulent sur le web. Souvent sur les colonnes qui bordent les pages des sites. Le contenu s’appuie généralement sur une obscure étude, dorée par le nom ronflant de ses auteurs-chercheurs d’une université Outre-Atlantique compliquée à prononcer. Un clic, un sourire et on passe.
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Mais les titres précités ne sont pas sortis d’un site complotiste ou d’une usine à clics cherchant à rameuter les internautes un peu perdus. Loin de là. Ils proviennent tous de « Santé Plus Magazine« , l’un des médias les plus actifs sur Facebook en français selon les chiffres du dernier baromètre Nuke Suite/Stratégies qui porte sur 367 médias francophones présents sur le réseau social. (à ne pas confondre avec Santé Magazine, qui est une autre publication sans lien avec celle-ci).
Avec 738 178 fans, « Santé Plus Mag » est le quatrième média sur Facebook (francophone) en terme de communauté, devant BeInSport, Le Monde et TF1. En décembre 2017, c’est de lui dont les gens ont le plus parlé (1 800 000). Sur ce même mois, avec 5 805 160 « likes », commentaires ou partages, c’est le média qui a généré le plus d’interactions, loin devant Le Parisien, BFM ou L’Equipe, poids lourds du secteur.
Une prouesse qui ne s’explique pas par le sérieux de ses contenus. Sur le site de Santé Plus Mag, les titres sont racoleurs, les informations très moyennes voire complètement fausses, bien souvent dénichées sur des sites qui colportent des rumeurs. On y trouve pèle-mêle des révélations sur l’existence d’un vaccin contre le cancer, d’aliments bien plus efficaces que n’importe quel antidépresseur, de potions magiques pour maigrir, mais aussi des faits divers sordides ou des conseils sexualité farfelus et sexistes.
Deux lignes éditoriales
Pourtant Santé Plus Magazine a aussi une version papier qui parait de meilleure qualité. Un mensuel lifestyle, nature et bien-être diffusé à 15000 exemplaires, uniquement au Maroc. On aime ou pas, mais sur le print au moins, les auteurs sont identifiés et identifiables, les informations un peu mieux sourcées et les conseils moins aberrants. Sur le web, les articles sont écrits par une petite dizaine d’auteurs signant sous des pseudos qui laissent rêveur tels que « Noam Thérapie », « Jad Thérapeute » ou « Adam Yoga ».
Deux lignes éditoriales complètement assumées par Othman Kabbaj, rédacteur en chef et fondateur de Santé Plus Magazine. Ce dernier qui gère depuis le Maroc le site alimenté en France défend une ligne « plus ludique » et « moins austère » sur le web. Ce qui n’empêche pas Othman Kabbaj d’assurer qu’une équipe de « journalistes scientifiques valident tous les contenus ». On peine à le croire quand on lit plusieurs fois de suite, dans différents articles, qu’il faut absolument « dormir sur le côté gauche ». Typiquement le genre de hoax qui parcourt la toile depuis des années sans aucun fondement scientifique.
« Le fait qu’une étude existe ne signifie pas qu’elle est valide »
« C’est un peu catastrophique », déplore Florian Gouthière, journaliste scientifique, chroniqueur santé sur France 5. Pour l’auteur de « Santé, science, doit-on tout gober ? » (Ed. Belin) qui traite de ces questions, « ce genre de sites colportent une vision complètement farfelue de la médecine. On donne aux gens une fausse représentation de comment on peut être en bonne santé. Et dès lors que l’on a un vrai problème, on risque d’aller se référer à ces solutions qui dérivent de ces représentations erronées. »
Par exemple, l’un des dadas de Santé Plus Mag est la médecine « naturelle », « alternative », à base de plantes. « Il faut faire très attention, met en garde Florian Gouthière. « Naturel » n’est pas automatiquement synonyme de « bon pour la santé ». Et si cela est bon, bon pour qui ? À quels dosages ? Avec quelles contre-indications, quels effets non désirés ? S’est-on posé ces questions, et a-t-on réellement mis tout en oeuvre pour y répondre honnêtement ?«
Othman Kabbaj réfute tout charlatanisme ou volonté de diffuser des fausses nouvelles. « Tous nos articles s’appuient sur des études », assure-t-il. Un argument balayé par Florian Gouthière. « Le fait qu’une étude existe ne signifie pas qu’elle est valide. Il faut des confrontations rigoureuses. Quant aux témoignages, il faut se méfier des faux-semblants : « Je prends telle chose et je vais mieux » ne veut absolument pas dire « je prends telle chose donc je vais mieux. » »
Défiance, complicité et divertissement
Dès lors, comment expliquer que ces recettes remportent un tel succès ? Florian Gouthière pointe une défiance grandissante du public face aux industries pharmaceutiques et aux institutions qui assurent le suivi des médicaments mis sur le marché. Il n’est pas rare que l’on croise des allégations méfiantes du type « ce que l’on vous cache », « ce que les médecins ne veulent pas que vous sachiez », etc.
Par ailleurs, cet engouement repose sur l’intuition du public. Les articles flattent envies, besoins et préjugés du lecteur. Et puis au pire, cela ne fera pas de mal puisque c’est naturel. « Cela semble être anodin, mais ça ne l’est pas, tranche le journaliste scientifique. Sans trop se poser de questions, ces sites vont parfois vous conseiller des substances qui risquent d’interagir avec des traitements pris par ailleurs, et ainsi en moduler l’effet », soit en l’annulant, soit en l’augmentant. »
Sur Santé Plus Mag, on découvre ainsi que le ginseng est tour à tour un remède miracle contre la grippe ou la solution pour renforcer les spermatozoïdes. Outre le fait que rien de tout cela n’est prouvé, mal dosée, cette plante est susceptible d’avoir divers effets indésirables (interaction suspectée avec les anticoagulants, insomnie, diarrhée, hypertension…).
Un forum ?
Ce genre d’article présente un ton séduisant, divertissant, complice. « L’article dialogue avec nous comme un collègue à la machine à café, analyse Florian Gouthière. On a envie de connaître l’anecdote qu’il va nous livrer. » Mais au fond, on s’accoutume à ces idées. Et lorsqu’on va les rencontrer sur d’autres sites, petit à petit, on les remet moins en cause, et voire même les intègre. « Jusqu’à ce que nous même les colportions à la machine à café », soupire Florian Gouthière.
Othman Kabbaj, le rédacteur en chef, explique que sa page Facebook aux presque huit millions de fans fonctionnent un peu comme un forum. « Les gens discutent, remettent en cause, parlent de nos articles. » Quand on lui demande s’il mesure la responsabilité qu’il endosse, il affirme en « être conscient ».
Allégations sexistes
Par delà les conseils « santé » douteux, le fer de lance de Santé Plus Mag est aussi la sexualité. Et les articles sur celle-ci véhiculent très souvent une vision de la femme infantilisante, voire rétrograde.
Plusieurs contenus parlent ainsi de « de ces choses répugnantes que font les femmes quand personne ne les regarde« … Où l’on peut croiser ce genre d’anecdotes. « Il s’agit d’un classique ! Oui mesdames, ne vous cachez plus. Vous adorez votre soutien-gorge noir en dentelle… vous ne jurez que par lui d’ailleurs ! Oui, et bien pensez tout de même à le changer, car cela peut rapidement virer à une habitude un peu sale. On vous dit ça, on vous dit rien ! «
Sur les images « made in Santé Plus Mag », on découvre également des affirmations aux relents bien machistes. « Une femme a besoin d’un homme qui la protège comme sa fille, qui l’aime comme sa femme et qui la respecte comme sa mère ».
« La virginité, le meilleur cadeau qu’une femme peut offrir à l’homme de sa vie »
Sur ce point, Othman Kabbaj explique que Santé Plus Mag a vocation à se diffuser au-delà des frontières de l’Hexagone pour toucher un maximum de public francophone. Soit. Bien qu’on ne comprenne pas exactement en quoi cela justifie de telles allégations sexistes.
On est encore un peu plus étonné lorsqu’au détour d’un article qui parle du viol conjugal, on lit ces mots : « Cette jeune mariée a vécu le drame le jour de sa nuit de noce, pourtant elle aimait son mari et souhaitait perdre sa virginité avec lui cette nuit-là pour lui offrir le meilleur cadeau qu’une femme peut offrir à l’homme de sa vie. »
Avec ses près de 8 000 000 de fans Facebook, Santé Plus Mag a encore de beaux jours devant lui. Et avec lui, les allégations sexistes, les rumeurs et les prescriptions dangereuses.
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