La chanteuse et actrice a tourné, à la fin des années 1980, dans deux films mémorables et atypiques d’Agnès Varda, “Jane B. par Agnès V.” et “Kung-Fu Master”. Avant qu’elles ne deviennent amies pour la vie. Souvenirs multiples.
“Je pensais Agnès éternelle, même si je la savais comme d’autres de ses proches malade. Je l’ai vue il y a encore deux semaines dans sa maison rue Daguerre. Curieusement, ça me semble impossible qu’elle ne soit plus là aujourd’hui. Au lendemain de sa disparition, je dois pourtant me rendre tristement à l’évidence. J’ai tellement de souvenirs qui affluent.
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A l’époque de Sans toit ni loi, je lui avais adressé une carte postale, ainsi qu’à Sandrine Bonnaire, pour les féliciter de ce film miraculeux et éblouissant, mais elle m’avait engueulée parce qu’elle n’arrivait pas à déchiffrer mon écriture (sourire).
Elle m’a donc donné rendez-vous au parc de Sceaux pour lui lire oralement ma carte. A l’occasion de cette balade, son projet de portrait filmographique est né, Jane B. par Agnès V. (1988). Dans son esprit, comme j’allais bientôt avoir 40 ans, je pouvais être n’importe qui et donc interpréter plusieurs personnages habillés différemment en fonction des saisons.
Dans une scène tournée à Paris, où je montais à cheval en armure et où je portais une perruque noire, elle m’a demandé d’exagérer mon accent british pour dire face caméra “botter les Anglais hors de France”, ce qui m’avait énormément vexée sur le coup. Au point de piquer violemment le cheval avec mes chaussures pointues qui s’est emballé en pleine rue de Rivoli. Les badauds pensaient d’ailleurs que j’étais Marie Laforêt (rires).
J’ai toujours imaginé que l’on aurait pu inverser le titre du film en Agnès V. par Jane B. parce qu’il en dit autant sur elle que sur moi. Dans une réplique, je disais : ‘Même si on déballe tout, finalement on ne dévoile pas grand-chose.’ J’ai souvent repensé à cette phrase, particulièrement en écrivant mon journal intime (Munkey Diaries (1957-1982) – ndlr).
Après cela, j’avais écrit ce petit livre fantaisiste qui est devenu la trame du scénario de Kung-Fu Master (1988) ; très sincèrement, j’étais un peu tombée amoureuse d’un adolescent dans la vie. Mathieu Demy, le fils d’Agnès Varda et de Jacques Demy, me semblait être l’interprète idéal. En échange, elle a imposé la présence de Charlotte Gainsbourg. Et comme j’avais écrit un petit rôle pour un enfant, Lou Doillon s’est retrouvée au générique du film, à 5 ans seulement.
Ce fut vraiment une aventure inoubliable pour tout le monde. Dans une ambiance forcément très particulière avec nos deux familles réunies puisqu’il y avait aussi mes parents. J’ai revu ce film plusieurs fois, notamment dans des festivals avec Agnès. Ça tient plutôt bien le coup (sourire).
Depuis ces deux tournages, on n’a jamais cessé de se voir. Elle avait quand même la force d’un bulldozer ! Un jour, Jacques Doillon m’avait confié que chaque cinéaste aurait bien besoin d’une Agnès Varda. Il suffit de se rappeler l’énergie déployée pour la restauration des films de Jacques Demy et celle pour perpétuer son œuvre. Elle l’a toujours défendu comme s’il était encore vivant.
Il y aurait tellement d’anecdotes à raconter sur Agnès. Après la mort de ma mère en 2004, à mon retour d’Angleterre, elle m’avait gentiment attendue gare du Nord dans sa petite voiture rouge. Sa délicatesse et son attention permanente étaient immenses. Quand ma fille Kate est décédée en 2013, elle m’appelait quasiment tous les jours et venait boire le thé à la maison, simplement pour bavarder ou regarder la télévision.
Devant un documentaire sur Grace Kelly, elle m’avait avoué que ce qui lui manquait le plus, c’était les commentaires de Jacques. Elle était tellement juste sur la réception des manques. Elle se souciait tout le temps des autres, comme dans ce magnifique documentaire Quelques veuves de Noirmoutier (2005). Son regard va terriblement nous manquer.”
Propos recueillis par F. V.
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