Incarnées par Audrey Hepburn-Albert Finney, les affres de la conjugalité dans un magnifique film à la composition temporelle sophistiquée. A voir dans un coffret DVD énorme avant une ressortie en salle.
Stanley Donen a beaucoup filmé l’amour et, en grand réalisateur de comédies musicales, il reste surtout fasciné par les premiers tremblements de la rencontre, cet “ici et maintenant” qui fait reculer passé et avenir, seul moment où l’on peut danser. Une électricité libidinale traverse Un jour à New York, Donnez-lui une chance ou encore le magnifique Les Sept Femmes de Barberousse. Légèreté du trait, refus du psychologique, éloge de la surface, éthique de la joie : car le monde ne mérite que notre sourire.
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Présent sinistre et tourbillon de souvenirs
De Gene Kelly à Audrey Hepburn, en passant par Cary Grant, le choix de ses acteur·rices fétiches ne traduit pas autre chose : la joie (même feinte) est au-dessus de tout. Donen semble retrouver chez Hepburn un peu de la magie solaire de Kelly, une élégance espiègle, un peu d’enfance. Donen et Hepburn font trois films ensemble : si Drôle de frimousse (1957) et Charade (1954) sont encore traversés par l’allégresse, quelque chose se brise avec leur dernier film, Voyage à deux, que Wild Side ressort dans un coffret énorme, plein de textes et de bonus, à la mesure du chef-d’œuvre qu’est le film.
Donen n’avait jamais approché de si près ce qui vient prolonger la grâce du coup de foudre : la réalité du mariage. Lessivé·es par douze ans de conjugalité, Joanna (Hepburn) et Mark (Albert Finney) prennent la voiture pour se rendre sur la Côte d’Azur et ne communiquent que pour se lâcher des remarques fielleuses. Bientôt, le sinistre présent se voit submergé par un tourbillon de souvenirs, ceux des nombreux périples sur les routes de France qu’ils ont fait ensemble.
Le nuancier de la désillusion conjugale
Des promesses hilares des débuts aux premiers mots qui blessent, le film figure un genre de nuancier de la désillusion conjugale d’une précision rare. Donen semble fourrager dans le passé comme pour répondre à cette question lancinante (surtout dans le cinéma américain des années 1960) : comment en est-on arrivé là ? A quel moment le couple devient un monstre ?
Le magnifique scénario de Frederic Raphael (à qui l’on doit aussi celui de Eyes Wide Shut, pas de hasard) établit des jeux de correspondances et de sutures temporelles extrêmement subtils (une peau de banane qui circule entre passé et présent), et excelle dans l’art de la saynète naturaliste jetée dans un grand bain révélateur et mémoriel. Si l’écriture de Raphael est incisive, d’une précision psychologique dont il use autant pour Mark que pour Joanna, la mise en scène de Donen est ludique, riante, faisant moins danser les corps (qui n’y arrivent plus) que le montage.
“Ici ? Maintenant ?”
Donen est virtuose dans sa manière de recomposer de la fluidité, de retracer une route commune, avec des morceaux brisés. Comme si, à relier les strates entre elles, le courant érotique se remettait à circuler. Et cette circulation qui reprend, on peut l’interpréter de deux façons : ou le mariage est voué à cheminer vers son inévitable pourrissement, ou le couple est à même de trouver dans le ressouvenir de quoi se régénérer. Eternel vitaliste qui ne cède pas aux sirènes du cynisme désaffecté, Donen s’en remet, encore, toujours, aux puissances du présent. “Ici ? Maintenant ?” susurre Mark en tremblant.
Voyage à deux de Stanley Donen avec Audrey Hepburn, Albert Finney, Eleanor Bron (R.-U., 1967, 1h52)
Coffret édition spéciale limitée (Wild Side Video), 49,99€
Reprise en salle le 29 avril
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