Le dernier-né des studios Marvel a particulièrement impressionné pour son rajeunissement numérique de Samuel L. Jackson, dans la peau d’un Nick Fury quarantenaire. Mais ne serait-ce pas l’annonce d’une technologie s’imposant à l’industrie ?
Rappelez-vous. En 2015, Ant-Man débute sur une séquence de flash-back, dans laquelle Michael Douglas est clairement rajeuni numériquement, offrant un résultat bien trop lisse qui plonge à pieds joints dans l’uncanny valley. Rebelote l’année suivante avec Captain America : Civil War. Cette fois-ci : Robert Downey Jr. observe une version plus jeune de lui-même en hologramme. L’effet est encore grossier, tant les CGI semblent accaparer le visage pourtant réel de l’acteur. Mais à partir de 2017, Marvel surprend le monde entier avec la scène introductive des Gardiens de la Galaxie 2 : Kurt Russell ressemble à s’y méprendre à celui qu’il était dans les années 1980, comme si on l’avait tout droit sorti de New York 1997 ou de The Thing. Les images de synthèse se font plus discrètes, et n’affectent pas le jeu du comédien.
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Si l’effet n’a pas été aussi bien exploité par la suite sur Michelle Pfeiffer dans Ant-Man et la Guêpe, Marvel a débuté 2019 avec Captain Marvel, et la promesse d’un retour aux années 1990, bien avant que Nick Fury ne forme les Avengers. Et là, c’est le choc : malgré ses 70 ans, Samuel L. Jackson en perd 25 à l’écran, sans que le spectateur ne remette en cause une seule seconde la prouesse. Marvel a fait du chemin, mais il faut surtout féliciter Lola VFX, société d’effets spéciaux qui n’a cessé depuis des années de s’améliorer dans le domaine du de-aging. Avant tous les films pré-cités, Lola était déjà à l’œuvre sur X-Men : L’Affrontement final (2006) et L’Étrange histoire de Benjamin Button (2008), tous pionniers en la matière.
Une démarche renouvelée
Le superviseur des effets spéciaux de Captain Marvel Christopher Townsend est revenu pour Indie Wire sur le miracle de ce long-métrage et explique notamment sa particularité : « Par le passé, nous tournions toujours avec une doublure afin de recréer la performance à partir de celle de l’acteur. L’autre comédien regardait, et ensuite recréait le jeu. […] Mais c’était impossible avec Sam, qui est dans les deux-tiers de Captain Marvel. Cela aurait pris trop de temps et il aurait été trop difficile de concorder les performances à chaque plan. » Lola a néanmoins testé plusieurs possibilités, avant de relever le défi sans doublure, affirmant que la peau de Jackson était suffisamment jeune pour que l’exercice fonctionne. Selon Townsend : « Il y avait un peu de maquillage pour tirer la peau de son cou. Mais vous voyez bien à l’écran sa performance sans greffe, juste légèrement amaigrie, resserrée et estompée. »
Ainsi, Lola a dû repenser sa gestion des CGI au vu du nombre imposant à plans à retoucher numériquement, mais le studio a surtout travaillé en revoyant d’anciens films de l’acteur, comme Le Négociateur ou Die Hard : Une journée en enfer, afin de reproduire la moindre gestuelle de n’importe quel muscle, en fonction des situations.
Les studios de VFX contre-attaquent
L’ampleur de plus en plus importante de ce type de démarches est en train de bouleverser Hollywood. Les studios peuvent aujourd’hui produire des films à concept qu’ils n’auraient jamais pu faire il y a encore dix ans. Le travail de Lola a ainsi poussé la concurrence à se dépasser. Actuellement, ILM planche sur The Irishman de Martin Scorsese, dans lequel des séquences de flash-back ont nécessité un lourd travail de face-mapping pour Robert De Niro et Al Pacino. La société Weta Digital, quant à elle, travaille activement sur le Gemini Man d’Ang Lee, où Will Smith fait face à un clone plus jeune de lui-même, réalisé grâce à une doublure et de la performance capture. Puisque son cinéaste a choisi de réaliser le film en 4K 3D à 120 images/seconde, l’ultra-réalisme des séquences a dû être poussé dans ses retranchements, surtout que le double du comédien est présent dans plus de la moitié du récit.
Dès lors, force est de constater que la performance capture devient progressivement un outil démocratisé, ne servant plus seulement à transformer un acteur en alien bleu. Son exploitation, de plus en plus invisible, interroge sur l’immortalité potentielle d’un comédien, voire sa résurrection. ILM avait posé des questionnements éthiques en recréant numériquement le visage de Peter Cushing (décédé en 1994) pour les besoins de Rogue One : A Star Wars Story. A l’époque, beaucoup avaient comparé ce procédé à la méfiance des Amérindiens face à la photographie, qui craignaient que l’appareil ne capture leur âme. Sans en venir à cette extrémité, on peut d’ores et déjà envisager une évolution du métier d’acteur, une exploitation sur la durée d’un physique basée sur une version moderne du masque mortuaire.
Toujours selon Indie Wire, le de-aging est encore en pleine mutation, au point que certains superviseurs, tels que Trent Claus, estiment que l’intelligence artificielle pourrait bientôt être utilisée pour les épauler. La charge de travail de Captain Marvel relèverait déjà du passé, et annoncerait un futur aux possibilités toujours plus grandes, qu’il va falloir observer de très près…
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