Comme beaucoup de ses compatriotes avant lui, le coureur de fond érythréen Weynay Ghebreselasie a profité des JO de Londres pour se réfugier en Europe.
Weynay Ghebreselasie était arrivé au Jeux Olympiques de Londres avec le statut de future étoile de tout un peuple. Sèchement éliminé lors des séries du 3000m steeple (10e), il ne repartira pas tout de suite. Le porte drapeau de la délégation érythréenne lors de ces JO de Londres, âgé d’à peine 18 ans, s’est évaporé dans la nature avec trois de ses compatriotes peu avant la cérémonie de clôture.
Quelques jours plus tard, le coureur est réapparu dans le Guardian, pour s’exprimer sur “sa défection”. Il raconte avoir profité de la retransmission de l’épreuve de marathon, épilogue des Jeux qui captivait le staff érythréen, pour prendre la tangente, se débarrasser de sa carte SIM et déposer une demande d’asile politique.
Prendre la poudre d’escampette pendant des compétitions à l’étranger est en train de devenir un sport national en Erythrée. Entre 2006 et 2012, près de 50 sportifs érythréens ont faussé compagnie à leurs accompagnateurs, en Tanzanie, en Ecosse ou encore au Kenya. Si le pays de la corne de l’Afrique figure parmi les pays les plus désertés par les sportifs, il n’est pas le seul dans cette triste compétition parallèle. Lors des seuls Jeux londoniens, 21 athlètes en tout manquent à l’appel à l’heure du retour au pays des différentes délégations.
Aux quatre Erythréens s’ajoutent trois Guinéens, trois Ivoiriens, quatre Congolais, et sept Camerounais. Ce genre d’histoires ponctue traditionnellement les Olympiades, à plus forte raison quand celles-ci se déroulent dans des pays « riches », comme ce fut le cas des trois dernières éditions à Sydney, à Athènes ou à Pekin. Officiellement, les autorités britanniques se font discrètes pour l’instant, puisque tous les visas délivrés aux athlètes participant aux Jeux courent jusqu’en novembre. Mais après ? Trois options s’offrent désormais à ces athlètes exilés : obtenir l’asile politique, une prolongation de leur visa, ou un retour dans leurs pays.
Léonard Vincent, spécialiste de l’Erythrée et auteur d’un ouvrage de référence*, précise qu’un retour est « difficile à envisager » dans le cas Ghebreselasie, « je n’ai pas souvenir d’un seul retour au pays, les gens savent trop ce qui les attends là-bas ». Ce qui les attend, c’est un pays cadenassé par le Président Afeworki et son entourage, qui a mené pendant 30 ans la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie et tient d’une main de fer le pays depuis 1993. 19 ans sans élection et sans réel contre-pouvoir, sous le fronton d’une militarocratie maoïste repliée sur elle-même. Symbole absolu du régime, c’est le service national qu’il devait intégrer dans quelques mois qui a poussé Weynay Ghebreselasie à s’enfuir. « Une fois que vous l’avez intégré, il n’y a plus moyen d’échapper à une vie très dure », a-t-il expliqué au Guardian.
« On est pas traités comme des athlètes », ajoute-t-il pour décrire sa situation actuelle, racontant qu’on lui a plusieurs fois refusé sans motif des traitements médicaux.
Léonard Vincent résume : « Dans ce pays tout est guidé par le politique (…) Le service national dure souvent plus de 25 ans, fournissant une main d’œuvre illimitée quasi gratuite au pouvoir et maintenant la population dans un état de misère et de dépendance vis-à-vis du parti ».
Comme souvent, ceux qui ont réussi à quitter le pays soutiennent financièrement et moralement ceux qui y vivent ou qui veulent les rejoindre. « Les défections sont souvent planifiées de longue date, avec l’aide de la diaspora », explique Léonard Vincent, qui ajoute que celle de Ghebreselasie a été accueillie « avec enthousiasme » dans les médias érythréens non tenus par le pouvoir (basés en dehors du pays, ndlr). En Erythrée, le pouvoir minimise ces défections en chaine et personne n’ose les évoquer publiquement.
Interrogé à propos de l’exode de la jeunesse érythréenne par Reuters en 2009, Afeworki avait très sérieusement déclaré qu’ « ils étaient partis en pique-nique, et qu’ils allaient revenir ». Dès qu’un sportif veut sortir du pays le temps d’une compétition, il lui est exigé une caution faramineuse, et sa famille subit des menaces, qui se transforment en représailles en cas de non-retour. Une réalité qui ne quitte pas Weynay Ghebreselasie, mais qui n’entame pas sa détermination sans faille :
« La situation de notre pays pousse les gens à faire des choses qui mettent leur vie en danger, mais parfois il n’y aucune autre alternative (…) Qui sait ce que me réserve le futur, mais j’espère vraiment pouvoir poursuivre mon premier amour, la course. »
* Les Eryhtréens, Leonard Vincent, Editions Payot & Rivages, 2012