[Spectacle annulé jusqu’à nouvel ordre] Masochisme, masturbation, avortement… Ecrite en 1891, la “tragédie enfantine” du dramaturge allemand et adaptée par Armel Roussel aborde dans un élan résolument moderne l’éveil adolescent à la sexualité.
Un terrain vague cadre les aventures érotiques des jeunes acteurs réunis par Armel Roussel pour L’Eveil du printemps de Frank Wedekind. Les filles du duo Juicy (Julie Rens et Sasha Vovk) accueillent le public par un showcase avant d’assurer en live la bande-son electro-pop du spectacle.
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En lieu et place des trois coups, la troupe au grand complet envahit le plateau pour fêter les 14 ans de Wendla (Judith Williquet) et souffler les bougies d’un gâteau partagé avec les spectateurs. Découpée en courtes scènes, la pièce aborde les facettes d’une découverte de la sexualité trouvant source dans des songes qui ouvrent sur les fantasmes.
Contrairement à son amie Martha (Amandine Laval), Wendla n’a jamais été battue, ce qui ne l’empêche pas de demander à Melchior (Julien Frégé) de la fouetter avec une baguette. Des garçons se livrent à une séance de masturbation collective. Ilse (Nadège Catheline), qui est modèle, confie à Moritz (Nicolas Luçon) ses nuits avec de vieux peintres priapiques. Sans angélisme, l’auteur ne masque ni les tentations suicidaires ni les ravages des avortements clandestins qui amènent la jeunesse à payer son tribut à la mort.
Un précipité d’émotions
En levant le rideau sur la sensualité adolescente, la pièce de Wedekind est pionnière. Ecrite en 1891, interdite pour pornographie durant seize années, elle attire les commentaires de Sigmund Freud en 1907 et Jacques Lacan préface sa première traduction française signée par François Regnault en 1974.
Laissant à d’autres les doctes mises à distance des psychanalystes pour nous plonger dans un précipité d’émotions, Armel Roussel aborde l’œuvre au plus près de son vécu. “J’ai en tête le pays de mon adolescence et le souvenir de mes 15 ans… Je me souviens de désirer en cachette, de regarder les gens beaux, de les envier, de souffrir. ‘J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant’, disait Pablo Picasso. Peut-être ai-je mis toute la mienne à faire du théâtre comme un ado.”
On craque pour ce manifeste no future qui consacre sans nostalgie le feu de paille de l’adolescence
Exaltant le millefeuille mémoriel, le metteur en scène accorde le présent des selfies intimes à la lucidité sans fard des personnages de Wedekind. L’exposition des corps dévide le fil rouge d’une quête qui vise à l’échappée belle, à rompre avec les interdits. Il faut alors se rendre à l’évidence, du XIXe siècle à nos jours, c’est le même rituel dérangeant qui clôt l’enfance sur le seuil de la société des grandes personnes.
On craque pour ce manifeste no future qui consacre sans nostalgie le feu de paille de l’adolescence et désigne en chacun un repenti ayant traversé l’épreuve pour se contenter d’une vie d’adulte.
L’Eveil du printemps de Frank Wedekind, adaptation et mise en scène Armel Roussel, avec Nadège Cathelineau, Romain Cinter, Thomas Dubot, Julien Frégé, Amandine Laval… Jusqu’au 29 mars, Cartoucherie – Théâtre de la Tempête, Paris
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