Après le succès de “Frances Ha”, le réalisateur Noah Baumbach retrouve l’acteur Adam Driver pour une comédie sophistiquée et gentiment dépressive, “While We’re Young”.
Noah Baumbach est un peu l’outsider, celui qui est en train de remplacer tranquillement Woody Allen ou de supplanter Judd Apatow comme incarnation désormais la plus désirable de la comédie américaine sophistiquée.
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Après Greenberg ou Frances Ha, While We’re Young (en attendant Mistress America qui sortira en janvier 2016) confirme son talent pour mixer humour et vague à l’âme, pour décrypter les guerres conjugales et sociales avec finesse et légèreté.
La quarantaine élégamment négligée, éloquent et courtois, un zeste pensif dans le fond du regard, Noah Baumbach ressemble plus à un universitaire européen qu’à un Américain nourri au maïs. Converser avec lui est un peu comme rencontrer un personnage de ses films – en plus sérieux et moins comique.
Pour écrire vos films, puisez-vous dans votre propre vécu ?
Noah Baumbach – C’est un mélange d’un peu de tout : ma vie, ce que j’observe chez mes proches ou amis… Le processus d’écriture est quelque chose d’un peu mystérieux. Je regarde la vie, le quotidien, parfois ça me sert pour une ligne de dialogue, parfois pour une séquence, parfois pour un film entier. Beaucoup de choses entrent dans ma tête et je ne sais pas trop quand et comment ça va ressortir.
Pour While We’re Young, je voulais depuis longtemps parler du couple, et notamment comment vit un couple qui est ensemble depuis longtemps. Ce qui m’intéressait, c’est comment les couples sont souvent très bons pour analyser les autres couples, leurs amis, mais sont aveugles à leur propre situation. C’est cette idée initiale qui a déclenché le film, puis ça a évolué et d’autres idées se sont greffées.
While We’re Young montre l’amitié et la rivalité entre un jeune couple ambitieux et un couple mûr un peu usé. Vous êtes-vous projeté dans l’un, dans l’autre ou dans les deux ?
Dans les deux. A l’évidence, j’ai aujourd’hui l’âge du couple quadra. J’ai pensé à ce sentiment à la fois très humain et un peu embarrassant qui fait qu’on ne croit jamais qu’on a l’âge qu’on a quand on vieillit. J’ai toujours considéré les quadras comme des “vieux” et maintenant, ben j’ai cet âge-là ! C’est une évidence, mais la réaliser, s’en rendre compte, ça a des implications profondes. C’est dans cet état d’esprit que j’ai fait While We’re Young, avec ce recul de l’âge mûr.
While We’re Young est-il une comédie ?
Je crois que oui. Le film est construit sur une structure comique. Je pensais aux screwball comedies des années 30 et 40, ces comédies shakespeariennes où un couple doit passer par la séparation avant de se reconstituer. Cette structure du remariage est vraiment l’armature de While We’re Young. Après, il est vrai que j’ai une vision moins “naïve” ou moins radicalement optimiste que les réalisateurs des années 30. J’adapte la screwball comedy aux réalités de la vie contemporaine.
Vous retravaillez avec Ben Stiller et Adam Driver, votre prochain film (Mistress America) sera avec Greta Gerwig, vous avez écrit avec Wes Anderson… Est-ce plus agréable, rassurant, de travailler avec des amis ?
Oui, j’aime travailler dans une atmosphère amicale. Quand on a connu une bonne expérience avec un acteur, on a envie de retravailler avec lui, on veut creuser, essayer d’autres pistes. Un acteur qu’on apprécie vous inspire et vous donne envie de faire un bout de chemin avec. J’ai écrit le rôle de Josh en pensant à Ben, j’avais en tête l’acteur avant le personnage. Le rôle d’Adam n’a pas été écrit spécialement pour lui, mais j’avais vraiment adoré travailler avec lui sur Frances Ha et son nom est revenu naturellement.
J’aime travailler avec des amis ou des gens avec qui j’ai aimé collaborer mais ça ne suffit pas, il y a d’autres critères, comme avoir l’acteur qui convient au rôle. Sur While We’re Young par exemple, j’ai tourné pour la première fois avec Naomi Watts, Charles Grodin… C’est agréable de bosser avec des gens qu’on connaît, ça facilite le travail, les choses vont plus vite.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir Naomi Watts ?
J’ai toujours voulu travailler avec elle, elle est toujours excellente. Comme beaucoup de gens, je l’ai découverte dans Mulholland Drive et j’ai pris une grosse claque, mais, ensuite, elle ne m’a jamais déçu. Elle est très bonne dans les rôles dramatiques mais elle peut être aussi très drôle, d’une façon très naturelle et quotidienne, sans en faire des tonnes dans le comique.
Comme Greta Gerwig ?
Oui. Cela dit, Greta pourrait parfaitement jouer dans une comédie au plus fort sens du terme : elle peut être comique par le dialogue mais aussi par le burlesque, avec son corps.
While We’re Young, Greenberg, Frances Ha, Mistress America, beaucoup de vos films parlent de la rivalité sociale, de la possibilité de l’échec, de l’état dépressif… Vous sentez-vous isolé dans le paysage du cinéma américain, voire dans une société portée par l’idéologie du succès ?
Je ne sais pas, j’essaie de parler de personnages qui vivent dans la vraie vie, mais qui sont entourés par ce que vous décrivez, c’est-à-dire cette injonction permanente à la réussite par l’argent. Donc, souvent, ils ne se sentent pas en réussite, se posent des questions. On est bombardés tous les jours par des success stories, au cinéma, à la télé, dans les médias et c’est vrai que cette obsession du succès est très américaine.
En ce sens, je crois que mes films sont très américains parce que le sentiment d’échec de mes personnages provient de cet environnement où l’argent et les biens matériels sont rois. Le sentiment d’échec est lié à un manque de compréhension de qui on est vraiment. On vit dans ce monde qui produit un fantasme du succès, on veut coller à ce fantasme et on oublie qui on est, on oublie ses propres désirs.
Pour revenir à votre question, je pense que mes personnages ont aussi quelque chose d’européen au sens où ils se posent des questions. Comme vous le savez, je suis sensible au cinéma européen, notamment aux films français de la Nouvelle Vague, à Renoir, à tous ces films qui recèlent un puissant humanisme. C’est difficile de juger ses propres films mais il me semble que mes personnages sont une synthèse de la culture américaine dans laquelle je vis et de l’approche européenne qui réfléchit au sens et à la raison d’être des films et qui produit un cinéma plus proche de nos expériences quotidiennes.
Par rapport aux feel good movies hollywoodiens qui dominent le marché, vous défendez un cinéma plus réaliste, intimiste, existentiel ?
J’aime bien aussi de temps en temps voir un pop-corn movie. Parfois, on veut juste s’asseoir dans une salle, profiter paresseusement du spectacle et gagner la bataille à la fin par l’entremise du héros ! Et puis à d’autres moments, on veut un plaisir de cinéma plus riche, plus profond, on veut des films qui nous procurent un plaisir plus intellectuel en nous interrogeant, des films qui nous posent des questions, des films qui nous font ressentir ce que c’est que d’être un être humain.
Quel est votre public aux Etats-Unis ?
Difficile à dire. Je crois que des films comme Greenberg ou While We’re Young intéressent plutôt un public adulte mais que les jeunes finissent aussi par y venir. En revanche, des films comme Frances Ha ou Mistress America attirent un public estudiantin parce qu’ils parlent de personnages de ces âges-là et de leurs problèmes.
Quand j’ai tourné While We’re Young, je me suis dit qu’il existait un genre américain très florissant des années 30 aux années 70, puis qui a peu à peu disparu : la comédie pour adultes. Même dans les années 80, quand les choses ont commencé à changer et qu’Hollywood a visé de plus en plus le public ado, on pouvait encore voir des comédies haut de gamme comme celles de James L. Brooks, de Sydney Pollack ou de Mike Nichols. Il existait une catégorie de films de studio pour ce public-là, c’est-à-dire des comédies à la fois plaisantes et profondes, sophistiquées. C’est en pensant à ces films que je fais les miens.
En voyant vos films, on pense aussi à Woody Allen, à Judd Apatow…
Oui, et c’est vrai que ce genre de films a tendance à se réduire. Je ne vais pas non plus me plaindre, j’ai eu la chance de pouvoir faire tous mes films jusqu’à maintenant. Je suis économiquement conscient, je fais toujours en sorte que les budgets de mes films soient bien ajustés, je ne fais pas de folies. Un cinéaste comme Woody Allen est non seulement très talentueux mais il est évident qu’il est aussi budgétairement responsable, qu’il fait des films qui coûtent ce qu’ils doivent coûter et pas plus. C’est important parce que ne pas faire perdre d’argent aux producteurs permet de continuer.
Je bosse depuis plusieurs films avec le même producteur, Scott Rudin, et comme on le disait tout à l’heure, c’est peut-être plus facile de travailler avec un petit groupe de gens que l’on connaît et apprécie. Et puis il faut bien que l’industrie laisse quelques-uns d’entre nous survivre ! Allez, juste quelques-uns ! J’ajoute que ces cinéastes, Woody Allen, Judd Apatow, Wes Anderson, moi-même, nous ne faisons pas un cinéma abscons ou déprimant, nos films procurent du plaisir, même s’ils parlent des complexités de l’existence ou comportent des passages mélancoliques. Nos films sont drôles, ce n’est pas comme si on faisait fuir le public.
Qu’est-ce qui vous a donné le goût des films européens ?
Mes parents étaient très cinéphiles. Grâce à eux, très jeune, j’ai vu énormément de films dont des films étrangers. J’ai vite acquis cette conscience que le cinéma existait à l’extérieur des Etats-Unis et j’ai découvert assez jeune les films les plus accessibles de Truffaut comme L’Argent de poche.
Mais c’est au lycée que j’ai commencé à apprécier ces films de façon plus érudite et informée. J’ai vu Jules et Jim dans ces années de lycée et c’est vraiment le film qui m’a électrisé, qui m’a donné le goût profond et durable du cinéma français et de la Nouvelle Vague. C’était la première fois qu’un film étranger me procurait le même plaisir plein que mes films américains préférés.
Avant ça, j’allais voir des films étrangers en me forçant un peu, en jouant un peu un rôle d’initié. Je me souviens avoir emmené une copine à une double séance de La Grande Illusion et de La Règle du jeu et, comment dire, c’était peut-être un peu prématuré pour nous de comprendre des films aussi complexes. Surtout en enquillant les deux à la suite ! Je me souviens qu’à la moitié de La Règle du jeu, j’ai commencé à me demander ce qu’on faisait là. Depuis, j’ai revu ces films plusieurs fois et j’ai bien sûr changé d’avis, je les aime profondément.
Vous êtes très cinéphile. Etes-vous devenu sériephile, à l’instar de beaucoup de jeunes ou moins jeunes cinéphiles ?
Non, je fais absolument partie du camp du cinéma ! Je suis parfaitement conscient que la télé a beaucoup évolué, que les séries contemporaines sont mieux écrites et réalisées qu’avant, qu’elles montrent désormais des personnages négatifs, des antihéros… Je sais tout ça. Mais c’est un médium différent du cinéma, ce n’est pas du tout la même chose. Dans les séries télé intervient la notion d’addiction : on regarde un épisode et tout est fait pour qu’on ait envie de regarder le deuxième, puis le troisième et ainsi de suite. C’est sans fin, ou presque. Je n’ai pas du tout ce rapport à la très longue durée et je prends plus de plaisir au format et à la durée des films.
Et encore, là, je ne parle que de l’aspect narratif. Visuellement aussi, les séries me paraissent moins riches ou surprenantes que le cinéma, les plans sont dimensionnés pour le petit écran, le montage est plus morcelé… J’entends très bien ceux qui disent que les séries sont bien meilleures que les films et O.K. !, pas de problème, je n’ai même pas envie d’en débattre. Moi, je ne ressens pas du tout le même plaisir en regardant une bonne série qu’en regardant un bon film. Et puis sur le plan du faire, je ne veux même pas en entendre parler. On m’a déjà proposé d’écrire des séries mais je ne me vois pas du tout dans la situation d’être obligé de raconter quelque chose pendant trente ou cinquante épisodes. Un cauchemar !
Lire aussi l’entretien avec Adam Driver et la critique de While We’re Young
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