Inoubliable interprète de « Sans toit ni loi », elle raconte son patient rapprochement avec la cinéaste dans les décennies qui ont suivi le tournage.
“J’ai rencontré Agnès dans sa cuisine. Elle me proposait d’interpréter Mona dans Sans toit ni loi. J’étais très jeune, je n’avais tourné que trois films et avais très peu de références en cinéma. Je savais par mon agent ce qu’elle représentait mais ne connaissais pas du tout son travail. Il n’y avait pas de scénario, juste deux ou trois pages.
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Elle ne m’a pas dit grand-chose, sinon : ‘Mona ne dit jamais merci, elle dit merde à tout le monde et elle pue.’ Son côté très cash m’a bien plu. Elle m’a dit aussi qu’on me déshabillait souvent au cinéma et elle voulait faire tout le contraire : me recouvrir, rajouter sur moi des couches de vêtements. Elle voulait clairement casser quelque chose de la représentation de la féminité.
Je dis souvent que Sans toit ni loi m’a permis de durer. Je ne suis pas sûre que j’aurais eu autant de propositions si je n’avais fait à mes débuts qu’A nos amours (1983). Sans toit ni loi m’a apporté la reconnaissance d’un travail d’actrice.
J’ai pris conscience que jouer était un vrai métier. Je n’avais que très peu d’expérience et elle me guidait essentiellement sur des aspects très physiques : les déplacements, les attitudes. J’ai compris peu à peu qu’il fallait raconter le vide. Incarner une recherche qui était moins celle de la liberté qu’un suicide.
Sur le tournage, j’étais parfois très insatisfaite. Avec Maurice Pialat, j’avais trouvé un père. Avec Agnès, je cherchais une mère, et elle n’a pas cherché à l’être pour moi. Elle était plus distante, plus pudique, exprimait peu son affection. Mais je sentais que j’étais bien filmée, respectée, vraiment aimée dans les plans.
Après le film, nous nous sommes perdues de vue pendant presque dix ans, jusqu’aux Cent et Une Nuits de Simon Cinéma (1995) où elle m’a demandé de reprendre mon costume de Sans toit ni loi, puis celui de Jeanne d’Arc, que je venais de jouer pour Jacques Rivette.
Dans le film, elle m’habillait aussi en princesse, tout en rose. C’était un clin d’œil à mon enfance, car je lui avais raconté que j’adorais faire les princesses parmi des garçons qui se déguisaient en mousquetaires. J’étais très minette avant de faire du cinéma.
En 2007, j’ai tourné un documentaire sur ma sœur atteinte d’autisme, Elle s’appelle Sabine. J’ai fait ce film pour faire bouger les pouvoirs publics, pas pour obtenir une reconnaissance de cinéaste. Mais Agnès l’a beaucoup aimé. Ça m’a rendu fière qu’une grande cinéaste-documentariste comme elle apprécie le film.
On s’est vraiment rapprochées à partir de ce moment. J’avais acquis de la maturité, une culture cinématographique. On s’est beaucoup parlé de cinéma, de fabrication de films. Je l’ai vue pour la dernière fois deux jours avant qu’elle nous quitte. Jusqu’au bout, elle est restée une femme qui se bat, forte et lucide.”
Propos recueillis par J.-M. L.
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