[Série d’été: les collectionneurs] A l’occasion de son exposition au LaM de Villeneuve-d’Ascq, nous avons rencontré agnès b. pour évoquer la collection qu’elle constitue depuis près de quarante ans.
[Mick Jones, Willem de Rooij, agnès b. : tout l’été, nous vous présentons une série de papiers exclusifs sur les collectionneurs de renom qui exposent en ce moment, partout dans le monde]
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Disons-le tout de suite, la rencontre avec agnès b., dans la touffeur de ce début de juillet qui assaille Paris et la rue Dieu où se trouve le siège de sa petite entreprise (prêt-à-porter, galerie, librairie – n’en jetez plus la coupe est pleine) fut traversée par quelques moments de grâce.
A commencer par celui-ci, qu’il vous faudra, avec un peu d’imagination, visualiser : agnès b., 74 ans, Converse au pieds graffées une semaine plus tôt par un street artist, se lève pour décrocher une simple carte postale punaisée. Sur cette carte postale, une reproduction d’un minuscule autoportrait de Rembrandt sur plaque de cuivre – “un selfie avant l’heure !” s’amuse agnès b – qui montre le peintre, la face rieuse, le trait léger, à l’âge de 22 ans.
Si l’on insiste sur cet arrêt sur image, c’est d’abord que le portrait de Rembrandt reviendra à plusieurs reprises dans la conversation, que l’on se rendra compte au fil de la discussion qu’il apparaît non pas une fois mais trois, punaisé sur les murs du bureau immaculé d’agnès b. dans une version photocopiée, puis dans une version augmentée, avec un petit message dessiné à la main (de cette écriture ronde et blanche immédiatement identifiable) directement adressé au Getty : une demande d’utilisation de l’image pour un t-shirt. « C’est une bouteille à la mer, dit agnès b., mais qui ne tente rien n’a rien. »
Une sincérité absolue dans tous ses choix
Preuve s’il en fallait que toutes les collections, comme nous le rappelait récemment l’artiste et accumulateur compulsif Pierre Leguillon, commence souvent par l’achat de cartes postales qui permettent de recréer chez soi et à bas coût son petit musée idéal, chez agnès b., il semblerait que sa passion déhiérarchisée de l’art l’autorise, encore aujourd’hui alors que sa collection compte plus de 3 000 œuvres accumulées sur près de quarante ans, à conserver ce plaisir des choses simples.
Une chose est sûre, agnès b. est d’une sincérité absolue dans tous les choix qu’elle fait : de son attachement indéfectible à l’intenable Basquiat à sa passion pour les street artists en passant par ses amours plus discrètes pour la photographie du XIXe, les affichistes des années 60, les artistes africains ou les dessins tantriques. Qui donne aujourd’hui à sa collection, en partie exposée au LaM, le Musée d’Art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille métropole, une coloration toute particulière : comme si se trouvait soudain révélé sous nos yeux le portrait en creux d’un personnage que tout le monde croit connaître mais qui cultive finalement une forme de pudeur très louable en ces temps de surexposition.
“Agnès dit souvent que les pièces de sa collection sont comme les morceaux d’un puzzle qui fabrique une image qu’elle seule connaît” commente Marc Donnadieu, conservateur au LaM et ami de longue date d’agnès b, rencontrée par l’intermédiaire de l’artiste Douglas Gordon. “Agnès est un paradoxe” aurait pu rajouter le commissaire qui s’expose à travers sa collection, fait de sa signature une marque de fabrique reconnaissable entre toutes, s’assume comme personnage public dans le champ de la culture mais aussi dans l’espace social (« Je suis l’une des personnalités que l’abbé Pierre a choisies pour poursuivre son œuvre”, rappelle agnès b.) tout en conservant l’élégance des curieux et de ceux qui sont dans l’action plutôt que dans le paraître.
“Elle continue à enrichir ses passions premières”
“Il y a des morceaux du puzzle que je ne connaissais pas du tout”, poursuit Marc Donnadieu à qui agnès b. a confié le soin de choisir des œuvres au sein de sa vaste collection aujourd’hui régie sous le statut d’une fondation,
« Notamment beaucoup d’œuvres du XIXe, des années 30, des avant-gardes. Beaucoup d’œuvres des affichistes aussi, de Raymond Hains, Botella, Villeglé. Des Brassaï… Ce qui est frappant, c’est qu’elle ne ferme aucune porte et continue à enrichir ses passions premières », conclut le commissaire.
Aucune versatilité chez agnès b. donc, qui dans sa collection comme dans son métier de galeriste (elle inauguré la Galerie du Jour en 1983, après le lancement de sa marque en 74, en plein essor du prêt-à-porter, et un passage par la galerie Kléber de Jean Fournier où elle fait ses armes) se tient loin des spéculations des “art dealers” et mise plutôt sur une accumulation des passions et une fidélité à toute épreuve. Au point d’accepter sans ciller le départ de certains de ses poulains, des Claude Lévêque, Nan Goldin, Ryan McGinley récemment rentré chez Perrotin, qui finissent tous immanquablement par aller voir ailleurs, plus loin et plus gros. « Je me mets à leur place. Et je ne me fâche jamais avec les artistes« , répond sobrement agnès b.
La jeunesse comme fil conducteur
L’exposition qui se tient tout l’été au LaM est le reflet de ces amitiés, parfois trans-générationnelles. Mais aussi de cet éclectisme finalement très signé, qui est la marque de fabrique d’agnès b. Seul vrai fil conducteur de ces passions tous azimuts : la jeunesse. Où l’on comprend mieux l’attachement soudain à cet autoportrait de Rembrandt jeune, évoqué plus haut. Un amour inconditionnel qui la fait loucher du côté de l’enfance de la photographie, autant que vers les expérimentations d’artistes à peine émergents qu’elle cueille au berceau depuis la fin des années 70 : de Douglas Gordon dont elle découvre le travail au musée d’Art moderne (“une petite pièce sur laquelle était écrite la mention suivante : ‘Le temps de lire cette pièce, correspondant au temps qu’une tête met à se séparer du corps…’ – forcément, pour moi versaillaise, la guillotine, tout ça, ça m’a parlé !”) à Basquiat bien sûr, à qui elle achète un autoportrait à l’occasion de la Biennale de Paris de 1983, avant de le rencontrer, quelques mois avant sa mort à la galerie Yvon Lambert. « Basquiat était fan de mes chemises blanches, ai-je découvert bien plus tard » raconte agnès b., jamais avare d’une anecdote.
L’exposition, d’ailleurs, est truffée de bizarreries qui toutes disent cet attachement : des dessins de Warhol avant qu’il ne soit Warhol, une pièce de la toute jeune Luna Picoli-Truffaut découverte à l’Ecole des beaux-arts de Paris dont agnès b. préside la société des amis, des peintures de Futura, un pionnier du graf, les collages ésotériques de Julien Langendorff ou les dessins de fourmi d’Abdelkader Benchama.
« Mais je dis aussi souvent qu’il y a des jeunes déjà vieux, et des vieux qui sont d’éternels jeunes hommes. Comme Jonas Mekas ou Kenneth Angers, que j’ai connu à 17 ans et que je continue à soutenir. Récemment j’ai participé à la remasterisation de ses films, que nous avons réunis avec mes amis de Potemkine dans un coffret DVD intitulé The Magic Lantern Cycle« , complète agnès b.
Télescopage des époques et des médiums
Harmony Korine, artiste et réalisateur proche de Larry Clark, tient aussi une place de choix dans cet accrochage, qui incarne à lui tout seul le paysage sans frontière qu’agnès b. se plaît à explorer et à alimenter depuis près de quarante ans. Où l’art et le cinéma, mais aussi la musique, font bon ménage dans une cohabitation joyeuse.
« Pour moi tout est lié, confirme agnès b, je procède par regroupement, par affinité et j’adore les accrochages ou les collages », commente encore celle qui va bientôt rééditer son catalogue raisonné avant la sortie prochaine d’un tome 2, et l’exposition à l’automne à la Monnaie de Paris dans une expo conçue par Hans Ulrich Obrist et Christian Boltanski de toute la panoplie des « Points d’ironie », cette feuille de chou tirée sur rotative et imprimée à 100 000 exemplaires qui donne à chaque numéro carte blanche à des artistes (d’Orozco à Pierre Henry).
Dans sa maison, où est accrochée une portion congrue de sa collection, le télescopage des époques et des médiums est aussi de mise, comme en attestent ces trois natures mortes qu’agnès b. a bien voulu nous confier. Entre l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les tableaux de Basquiat et des statuettes africaines, le petit monde d’agnès b. est un vaste continent que le spectateur aura plaisir à explorer dans cette rétrospective du LaM.
« Maintenant, j’aimerais trouver un lieu pour ma fondation. Un hangar moderne, plutôt qu’une friche, en banlieue de préférence. Idéalement j’aimerais le faire construire, travailler avec un architecte, mais je n’en ai pour l’instant pas les moyens, je ne suis pas Vuitton ! » s’amuse agnès b. avant d’ajouter : « J’aimerais que la banlieue en profite aussi ».
agnès b. au LaM de Villeneuve-d’Ascq, du 12 juin au 23 aout 2015
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