Cette semaine sera placée sous le signe du rock : entre le superbe nouvel album du français H-Burns, le disque live du cultissime Ty Segall, le projet solaire de C Duncan, le brutal et lancinant Psychotic Monks et les trips psychédéliques de Michelle Blades, vous aurez de quoi faire.
H-Burns – Midlife [Vietnam / Because]
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Héritier de Sparklehorse et des autres outsiders du rock alternatif américain, H-Burns a assez de bouteille et de lettres pour s’inspirer des émotions les plus sombres sans nous plomber. Quand il s’agit de mettre en scène des tranches de vie universelles, il sait leur donner des formes accortes ou une couleur qui prévient de toute la grisaille. Un refrain attachant rend ainsi encore plus déchirante Leaving, où boîtes à rythmes antiques et grattes acoustiques s’unissent pour rendre ce cri d’adieu plus moelleux. Plus loin, Black Dog, digne du Velvet Underground période 1969-70 avec ses jolis riffs boisés, met à distance la dépression qui menace. D’accord, Friends, ballade intimiste et tire-larmes jouée sur un piano triste ne va pas réchauffer l’ambiance. Mais le Français a eu l’élégance de placer cet adieu aux disparu(e)s en fin de parcours, quand les résistances sont déjà tombées devant son songwriting solide et tout sauf mortifère. Avec son clin d’œil au Bonnie & Clyde de Bardot et Gainsbourg et sa remuante rythmique, Tigress surprend d’entrée, mise en bouche sexy qui précède la plus tamisée Actress où une serveuse, tentant l’aventure du ciné, est sur le point d’abandonner. Fort.
Vincent Brunner
Midlife est à écouter sur Apple Music.
Ty Segall & Freedom Band – Deforming Lobes [Drag City Records / Modulor]
« Aujourd’hui je ne sais plus si je suis un homme qui rêve qu’il est un papillon, ou un papillon qui rêve qu’il est un homme« , racontait Tchouang-Tseu au IVe siècle avant Jésus-Christ. Vingt-quatre siècles plus tard, Ty Segall ne sait plus très bien non plus s’il continue de faire des disques pour continuer de monter sur scène, ou s’il monte sur scène pour continuer à faire des disques. On se mouille, on opte pour la première proposition, tant le Californien semble prendre son pied à déconstruire tout le travail enregistré dans l’urgence en studio lorsqu’il part en tournée. On n’aime pas toujours les disques live, mais ce bon vieux Ty, qui nous a habitués depuis longtemps à transfigurer son répertoire dans des concerts de malade, livre ici un album à part entière, qui pourrait faire office de collection d’inédits dans une discographie déjà pléthorique. Ceux qui ont croisé plusieurs fois la route de Ty Segall, et notamment sur ce dernier tour héroïque d’où est tiré ce live, ne pourront pas résister à l’écoute de ce diamant brut.
François Moreau
Deforming Lobes est à écouter sur Apple Music.
C Duncan – Health [FatCat Records / Bertus]
Concernant les références sonores de Health, C Duncan a témoigné de son habituelle ouverture : entre yacht rock, citypop japonaise, disco, John Grant, Tatsuro Yamashita, Dutch Uncles, Björk… et même Abba ! Ce qui explique pourquoi ce troisième album est le plus solaire… du moins en apparence. “Après avoir terminé quelques chansons, j’ai remarqué que les paroles étaient souvent douces-amères, alors que la musique restait optimiste, souvent légère”, explique-t-il. “J’ai aimé cette juxtaposition entre paroles mélancoliques mélodies énergiques, alors j’ai continué de l’appliquer à tous mes autres morceaux. C’est pour cette raison que l’album s’appelle Health : tout semble être léger et aérien à la surface, alors qu’en profondeur, les paroles sont souvent sombres et malades…”
Malgré le ton personnel de ses chansons, il a laissé la réalisation à un autre, en l’occurrence Craig Potter d’Elbow : “Ayant moi-même produit mes deux premiers disques chez moi, j’ai senti qu’il était temps de changer les choses. Je voulais élargir mon son, introduire des chœurs et des cordes, et la meilleure façon de le faire était d’enregistrer dans un ‘vrai’ studio. Contrairement à ma production rêveuse et délavée sur The Midnight Sun, je voulais que Health sonne plus franchement, plus proprement. De plus, écrire et enregistrer seul peut vraiment beaucoup isoler… cette fois, je voulais partager cette expérience avec d’autres.”
Sophie Rosemont
Health est à écouter sur Apple Music.
The Psychotic Monks – Private Meaning First [Vicious Circle / L’Autre Distribution]
Ils sont jeunes, ne se posent pas de questions et ne cherchent pas de réponses. Les quatre membres (dont trois chanteurs) de Psychotic Monks forment un polygone kaléidoscopique aux arêtes saillantes qui a marqué les derniers festivals de son empreinte brute.
Tour à tour lancinant ou brutal, l’album Private Meaning First entretient une certaine harmonie de la rupture qui invoque, dans une grand-messe noire, l’esprit noise de Sonic Youth et le lyrisme de Joy Division. À peine assemblés en studio et taillés sur le laboratoire de la scène, les morceaux à multiples faces s’enchaînent dans un lâcher-prise qui n’a plus de début ni de fin, ni queue ni tête. Entre paroles qui dissèquent le corps et déchirent l’esprit (Isolation, A Coherent Appearance), cercle vicieux aux accents post-rock (Minor Division), incantations hallucinatoires post-punk (Closure, qui tourne autour du mantra “We have reached the other side and since we have emotions”) ou encore épilogue de quinze minutes aussi sombre que poétique (Every Sight), l’album tient du rite de passage, reliant pulsions de vie et de pulsions de mort.
Amandine Jean
Private Meaning First est à écouter sur Apple Music.
Michelle Blades – Visitor [Midnight Special Records]
Vous l’avez croisée sur scène avec Fishbach le temps d’une tournée interminable. Elle portait de grosses lunettes rondes façon Janis Joplin et jouait de la basse. Michelle Blades nous confiait même récemment, qu’à l’époque, elle travaillait déjà discretos sur les mélodies qui tissent aujourd’hui le fil de son nouvel album, entre deux sound check et trois escales en bord de mer. Mis en boîte en un mois à peine, dans un studio du Sud de la France perdu dans une pampa merveilleuse avec sa clique de fidèle luchadores, Visitor est une Apothéose. Introduit par Politic!, titre rock en forme de tract enjoignant à l’émancipation du joug des figures paternelles toxiques, l’album explore ensuite chaque recoin du possible psychédélique. Il y a ce clavier qui rappelle les errances narcotiques de la Femme sur Kiss Me on the Mouth, les excès du Dr. Psych, ou encore le délire free interstellaire de sa suite Dr. Psych sur la plage, corollaire nécessaire et manifeste antidaté d’un mysticisme qui touche au sublime dans sa façon d’exalter l’utopie un peu désuète de la libération des imaginaires par le trip chamanique. Son album le plus excitant.
François Moreau
Visitor est à écouter sur Apple Music.
{"type":"Banniere-Basse"}