Vu du Japon. Sous les feux de la critique internationale depuis le début de l’affaire Carlos Ghosn, la justice japonaise entreprendra-t-elle une remise en question ? Analyse de deux avocats de Tokyo.
“Le système de détention japonais est une prise d’otage judiciaire : voici l’image que l’archipel renvoie à l’international depuis le début de cette affaire”, explique Ken, blogueur japonais de 49 ans. Au Japon, comme en Europe, l’affaire Carlos Ghosn continue de faire couler beaucoup d’encre. Arrêté le 19 novembre 2018 pour suspicions de malversations financières, l’ancien PDG de Renault-Nissan a été détenu pendant 108 jours, dans la prison de Kosuge, au nord-est de Tokyo. Les raisons de cette longue détention justifiées par les autorités japonaises ? Empêcher le suspect de s’enfuir durant le temps de l’investigation et prévenir la destruction potentielle des preuves. Libéré début mars, Carlos Ghosn a été placé sous haute surveillance dans un appartement de la capitale japonaise, dans l’attente de son procès, prévu pour septembre prochain. Il encourt jusque dix ans de prison.
En Europe, le scandale a mis en lumière le fonctionnement du système judiciaire japonais, vivement critiqué à l’international, notamment sur la question du déroulement de la garde-à-vue et sur le fait qu’une période de détention soit possible, durant la période d’investigation, avant même que le suspect ne soit jugé. Selon les données de la police nationale, la durée de ces interrogatoires peut varier de 15h15 sur une première période de 23 jours de garde-à-vue pour les cas ordinaires, jusque 65h31 lorsqu’il s’agit d’un cas grave comme par un meurtre par exemple. “Les médias japonais ont été particulièrement féroces dans leur traitement de l’affaire Carlos Ghosn, explique Akiko Yamakawa, avocate chez Vanguard Tokyo. Mais personnellement, il me semble que le débat devrait davantage tourner autour de la question suivante, qui a, à juste titre, soulevé un débat important en Europe : l’arrestation, dont l’ordre émanait directement du bureau du procureur de Tokyo, était-elle justifiée ou pas ?”
Un feuilleton judiciaire qui passionne
Au Japon, comme ailleurs, le feuilleton à rebondissements de l’affaire Ghosn passionne. “Je ne sais pas comment l’affaire a été perçue dans les autres pays, reconnait honnêtement Yoichiro Yamakawa, avocat pour la firme tokyoïte Koga and Partners et spécialisé sur la question des médias. Mais les Japonais se montrent particulièrement passionnés par ce cas pour plusieurs raisons : les personnages clés sont des gens et des entreprises célèbres. Les montants annoncés sont des sommes colossales et l’affaire a eu un retentissement international.” Akiko Yamakawa ajoute : “Au départ, les Japonais étaient intéressés par la bataille politique que pouvait représenter ce duel entre Renault et Nissan mais depuis, il y a eu tant de presse négative à l’égard de Ghosn et des allégations de son inconduite, on a tendance à oublier cette théorie de coup d’état, au profit de l’argent qui a utilisé dans l’organisation de son mariage à Versailles.”
Dans le bruit d’Internet et la multitude d’informations relayées par les médias de toutes nationalités, “les Japonais sont toujours enclin à faire confiance aux médias nationaux”, répondent communément les deux avocats. Pas très étonnant lorsque l’on sait que les journaux papiers japonais jouissent de taux d’abonnement de plus de 80% lorsque 41% seulement des Français confient lire quotidiennement le journal. “Certains Japonais, les plus éduqués, iront s’informer également auprès des médias étrangers mais cela reste une toute petite proportion, précise Yoichiro Yamakawa. Dans l’affaire Ghosn, on a surtout suivi le feuilleton via les médias de l’archipel.”
Une conférence de presse qui peut tout changer ?
Carlos Ghosn a annoncé l’organisation d’une conférence de presse à la mi-avril. Il s’agira de sa toute première prise de parole public depuis le début de l’affaire. “Il est impossible de deviner ce qu’il va bien pouvoir annoncer ce jour-là. Une chose est sure, il devra avancer prudemment et consulter étroitement son équipe de défense pour ne pas se porter préjudice à quelques mois du procès.” Le monde entier sera pendu à ses lèvres.
Et “je peux comprendre sa stratégie de communication, nuance Akiko Yamakawa. La presse japonaise a été si négative sur son cas, il a envie de redorer son image dans une déclaration. Mais le problème reste que, ce qu’il pourra dire, sera forcément limité du fait de l’imminence du procès à venir. Il doit aussi rester très prudent pour ne pas donner l’impression qu’il a essayé de falsifier des preuves. A la fin, tout va dépendre de ce qu’il pourra exprimer, si c’est trop restreint, cela pourrait ne pas suffire pour inverser sa courbe de popularité et même carrément se retourner contre lui.”