L’actrice a tourné trois films avec la cinéaste : Les Créatures, Les Demoiselles ont eu 25 ans et Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma.
« Ce qui est très impressionnant dans le trajet d’Agnès, c’est qu’elle a commencé à travailler très jeune, comme photographe, et que jusqu’à la fin de sa vie, elle a poursuivi son travail de création. Ce qu’on appelle la vie active, ce temps passé à produire, s’étend pour elle sur près de soixante-dix ans et représente le double de celui de la plupart des gens. C’est ça qui m’impressionne le plus. Tout ce que couvre son œuvre, tout ce qu’elle emporte avec elle, ces pans entiers d’histoire…
« Nous avons été enceintes ensemble »
Je l’ai connue très jeune, en 1963, quand Jacques Demy m’a proposé de jouer dans Les Parapluies de Cherbourg. Elle était très intrusive dans le travail de Jacques et se mêlait beaucoup de la préparation. Je venais les voir rue Daguerre et un jour, dans la petite cour de leur maison, elle s’est décidée à changer ma coiffure, a pris un ciseau et a taillé dans mes cheveux avec cette brusquerie et cette détermination qui n’appartenaient qu’à elle. Elle m’a d’ailleurs pas mal tyrannisée avec mes cheveux parce que dans le premier film que j’ai tourné avec elle, Les Créatures (1966), un an plus tard, elle a imaginé une coiffure très compliquée, où elle voulait que j’arbore des boucles comme un ange de la Renaissance (rires).
Je l’ai beaucoup vue dans les années 1960 puis 1970, parce que je voyais Jacques. Nous dînions très souvent ensemble, j’allais les voir à Noirmoutier. Agnès et moi avons été enceintes ensemble et nos enfants, Mathieu et Chiara, ont le même âge. La grossesse d’Agnès mettait Jacques dans un drôle d’état. Il avait été un père très aimant pour sa fille adoptive, Rosalie, et il adorait Mathieu, mais à ce moment-là, l’approche de la paternité le perturbait un peu. Il avait longtemps pensé qu’il n’aurait pas d’enfants. Quand, après mon refus de tourner Une chambre en ville (1982), Jacques s’est éloigné de moi, on ne s’est plus vues pendant une dizaine d’années. Nous nous sommes retrouvées ensuite, après la disparition de Jacques.
« Elle ne filmait que ce qui la touche »
Agnès m’a ouverte à beaucoup de choses, politiquement, cinématographiquement. J’étais très séduite par sa curiosité, son agilité d’esprit. Pour moi, elle était un œil. Elle regardait tout ce qui défilait autour d’elle et savait comme personne l’attraper. En même temps, quelque chose d’elle échappait. Elle était très astucieuse de ce point de vue. Elle parlait tout le temps, ce qui était le meilleur moyen d’empêcher les autres de lui poser des questions. Elle exposait beaucoup sa vie dans ses films, mais elle ne disait que ce qu’elle voulait dire, et était au fond, à sa façon, assez secrète. Elle avait bien raison.
Même si j’aime énormément Cléo de 5 à 7 (1962) et Sans toit ni loi (1985), les films d’elle que je préfère sont certains de ses documentaires. Particulièrement Les Glaneurs et la glaneuse (2000) et Les Plages d’Agnès (2008). L’âge l’a beaucoup changée, beaucoup adoucie. Longtemps, elle était un œil qui scrutait, puis elle est devenue un œil qui aimait. Au fil de ses documentaires, on sent que le regard est de plus en plus empathique. Elle ne filmait que ce qui la touche. »
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne