Dans Faites-moi plaisir, l’Américaine Mary Gaitskill, toujours aussi polémiste, sonde les zones grises des relations à l’heure du mouvement MeToo.
Grand éditeur new-yorkais, Quin a une relation pour le moins particulière aux femmes. Badin, séducteur, parfois libidineux, il ne peut s’empêcher de les provoquer, de voir jusqu’où il peut aller. Rien d’extrême en apparence, pas de tentative de viol, mais des gestes déplacés, des paroles inappropriées, qu’il réussit à faire passer par son humour, son charme, sa passion inlassable des femmes qu’il entreprend et dont il devient l’ami fidèle, le confident. Jusqu’au jour où l’une d’entre elles décide de l’attaquer en justice. Effet boule de neige, les accusations pleuvent dès lors sur l’homme qui perd sa réputation, son boulot, ses amis.
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Nuances et la subtilité
Cela fait quelque temps qu’on se demandait quel·le écrivain·e serait assez doué·e pour traiter, avec les nuances et la subtilité qu’il requiert, ce sujet complexe – le mouvement MeToo, non du point de vue moral, politique ou judiciaire, mais de celui du vécu, c’est-à-dire des émotions irrationnelles, paradoxales parfois, qui meuvent les individus en matière de sexe, de sentiments, de rapports de force. C’est ce que fait admirablement Mary Gaitskill avec Faites-moi plaisir.
Il ne s’agit pas de dire que les femmes exagèrent, de minimiser ou de relativiser quoi que ce soit
Cette figure proche du fameux groupe d’auteurs new-yorkais surnommé le Brat Pack (Jay McInerney, Bret Easton Ellis, Donna Tartt) a toujours excellé dans l’art de décortiquer les rapports hommes-femmes sous toutes leurs formes : domination mais aussi soumission volontaire, dialectique du maître et de l’esclave, BDSM, prostitution, etc. Elle explore ici cette zone grise où l’on ne sait pas exactement ce qui est de l’ordre du consentement ou de l’abus. Rien de réactionnaire bien sûr, il ne s’agit pas de dire que les femmes exagèrent, de minimiser ou de relativiser quoi que ce soit. C’est même le contraire, le caractère a priori léger du comportement de Quin, son côté polisson, grand enfant le rendant bien plus troublant, dangereux qu’un mâle alpha.
Toutes les données du problème
Deux récits s’opposent, chapitre après chapitre. D’un côté celui de l’accusé, abasourdi par ce qui lui arrive, entre mauvaise foi et transfert de culpabilité (“Elles sont en colère à cause de ce qui se passe dans ce pays, ce gouvernement. Elles ne peuvent s’en prendre au roi, alors elles se satisfont du fou”). De l’autre, celui de sa meilleure amie Margot qui, bien qu’elle soit en colère contre lui, prend sa défense, parce qu’elle connaît ses qualités et parce que « c’est sa folie, son humour, son obscénité qui m’ont redonné goût à la vie ».
A l’heure où tout un chacun s’érige en père la morale, distribuant bons ou mauvais points au sujet d’individus qu’ils ne connaissent pas
Sur une centaine de pages, Faites-moi plaisir concentre tous les protagonistes, toutes les données du problème. L’aptitude au déni et à la récidive des hommes, la capacité de pardon des femmes, l’épouse digne, la petite fille qui sait déjà, celles qui refusent de voir la vérité en face au sujet de leur ami, d’autres qui s’inventent victimes. Telle est la force de ce roman, à l’heure où tout un chacun s’érige en père la morale, distribuant bons ou mauvais points au sujet d’individus qu’ils ne connaissent pas : plonger dans l’intimité des êtres, pour tenter de comprendre leurs contradictions. Ce que seule la littérature peut accomplir.
Faites-moi plaisir (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marguerite Capelle, 108 p., 13 €
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