Alors que le candidat de droite Ivan Duque, qui remet en cause les accords de paix, pourrait remporter l’élection présidentielle colombienne qui se tient le 27 mai et le 17 juin, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) envisagent de reprendre les armes.
En août 2017, après des années d’un processus de paix laborieux, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), guérilla marxiste vieille d’un demi-siècle, devenaient la “Force alternative révolutionnaire commune” (FARC), un parti politique institutionnel de gauche radicale, fondé par les guérilleros démobilisés. La Colombie semblait avoir tourné la page d’un des conflits fratricides qui la minait depuis 1964. Mais l’élection présidentielle de 2018, dont le premier tour a lieu le 27 mai, pourrait précipiter un retour en arrière dramatique. En effet, le candidat de droite en tête dans les sondages, Ivan Duque, héritier de l’ex-président Alvaro Uribe, remet en cause les Accords de paix signés il y a deux ans. Et les ex-guérilleros s’inquiètent pour leur sécurité, alors que cinquante d’entre eux ont été assassinés depuis qu’ils ont rendu les armes (dont une vingtaine en 2018), et que la loi d’amnistie traîne à être mise en oeuvre.
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Selon une information de France Inter, les FARC menacent même clairement de reprendre les armes. Le Sergent Miguel Angel Pascuas, un des leaders de la guérilla marxiste, prévient : “Si la répression et les menaces continuent, on reprendra les armes pour résister à la persécution, et le gouvernement en portera la responsabilité”. Pour comprendre ce revirement de situation, nous avons interrogé Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès.
Pourquoi les FARC menacent-elles de reprendre les armes en Colombie, deux ans après la signature des accords de paix, et à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle ?
Jean-Jacques Kourliandsky – Parce qu’elles sont menacées. Une cinquantaine d’ex-guérilleros désarmés ont déjà été assassinés, et il y a des pressions croissantes de la part des Etats-Unis : l’un des négociateurs des accords de paix, Jesús Santrich, a été arrêté en avril pour trafic de drogue, selon des preuves fournies par Washington, qui demande son extradition. A la suite de ces événements, d’autres responsables des FARC ont quitté la capitale Bogota car ils ne se sentaient plus en sécurité. Ils ont disparu dans la nature. Après un mois de grève de la faim, Jesús Santrich a été libéré. Mais la décision est considérée comme contestable d’un point de vue judiciaire. Il est probable que lui aussi disparaisse.
De plus, le candidat en tête des sondages pour la présidentielle, dont le premier tour a lieu ce 27 mai, est proche de l’ancien président Alvaro Uribe, et il s’oppose à l’application des accords de paix sur des points essentiels. On comprend donc que les FARC considèrent que le contrat n’est pas respecté. D’autant plus que les centres dans lesquels une dizaine de milliers d’ex-combattants sont regroupés sont extrêmement précaires, et eux-mêmes sont en attente indéfinie d’une éventuelle reconversion et formation. Un certain nombre d’entre eux, estimé à 20%, sont d’ailleurs dans la nature, par dépit. Le représentant du secrétaire général des Nations Unis a averti le Conseil de sécurité, en signalant qu’il était préoccupé par la façon dont les accords de paix étaient en train de se désagréger.
Tous les voyants sont allumés : d’anciens guérilléros sont assassinés, les engagements financiers concernant la reconversion des combattants ne sont pas respectés, l’un des négociateurs des accords de paix a été arrêté… Les FARC sont en train de se résigner à envisager une autre option.
Entre des champs de coca et de marijuana, la zone de démobilisation des #FARC de Monterredondo au sud-ouest de la #Colombie. Ils étaient 400 il y a deux ans, ils sont aujourd'hui 70 à vivre dans des conditions qu'ils jugent indignes : pas d'eau potable et un chantier à l'arrêt. pic.twitter.com/6lLwLDufIc
— Thibault Lefèvre (@thibaultlefevre) May 15, 2018
Suivant le candidat qui gagne à l’élection, les accords de paix pourraient donc être réduits en cendre du jour au lendemain ?
Le candidat proche de l’ex-président Uribe, Ivan Duque, remet en question l’existence d’une juridiction spéciale de paix pour juger les ex-guérilléros, qui doivent selon lui être jugés comme des criminels par la justice ordinaire. S’il était élu, l’esprit des accords de paix ne serait pas respecté. Il retirerait aux FARC les bénéfices acquis dans ces accords, notamment en matière de réinsertion et de casier judiciaire. En revanche, si le candidat de gauche, Gustavo Petro – ancien maire de Bogotá, qui a connu l’expérience de la guérilla au sein du M19 (Mouvement du 19 avril, actif de 1974 à 1990) dans les années 1980 – remportait l’élection, il respecterait ces accords. Mais pour l’instant il est à 10-15 points derrière le candidat de droite. Il est très probable qu’il aille au deuxième tour, mais ses chances sont beaucoup plus minimes de gagner le 17 juin.
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La société civile ne pourrait-elle pas se rassembler derrière lui au deuxième tour, pour préserver la mise en oeuvre des accords de paix ?
Le conflit avec les FARC concerne les périphéries du pays : les périphéries agricoles, les frontières, et la forêt amazonienne. Cela fait longtemps que le cœur démographique, économique et social du pays est assez loin du conflit. Dans les grandes villes comme Bogota, Cali ou Carthagène, les gens y sont indifférents, ils ne sentent pas le conflit. Quand on regarde les résultats du référendum du 2 octobre 2016 [portant sur le soutien à l’accord final « pour une paix stable et durable », où le ‘non’ l’avait emporté de justesse, avec une abstention de 62%, ndlr], on constate que ceux qui ont voté “oui” aux accords de paix vivent dans les périphéries, ils ont souffert de la guerre. Alors que dans les villes, l’abstention a été très élevée, et une majorité a voté contre. La société civile des périphéries peut donc se mobiliser, mais pas le cœur démographique du pays.
Les FARC accusent les “paramilitaires d’extrême droite” de ne pas avoir rendu les armes. Ont-ils raison ?
En fait les paramilitaires n’existent plus, ce sont des bandes criminelles, sur le modèle de ce qui se passe au Mexique : des groupes d’intérêt qui contrôlent quelques territoires libérés par les FARC. On assiste aujourd’hui à des combats entre des groupes divers pour récupérer ces terrains, où l’Etat est déficitaire. A la frontière avec le Venezuela, avec le Panama, ou avec l’Equateur, des centaines de personnes quittent leur village pour fuir les combats.
Les FARC pourraient donc vraiment repasser à la clandestinité et à la guérilla ?
Cela parait difficile, dans la mesure où 10 000 ex-combattants ont été identifiés. En conformité avec les accords de paix, ils ont donné leur nom véritable – et pas leur surnom – aux autorités. Pour ceux qui se sont démobilisés, revenir à la clandestinité ne sera donc pas une chose aisée. Mais de gros morceaux de territoire ne sont pas contrôlés par l’Etat en Colombie, il est donc toujours possible que des groupes repassent à la clandestinité. Cependant, les FARC ne retrouveront pas le niveau de combativité logistique qui était le leur auparavant, même si certains d’entre eux n’ont pas rendu les armes, notamment à la frontière avec l’Equateur, où plusieurs dizaines de combattants restent actifs et ont fait parler d’eux depuis le mois de janvier.
Les leaders des FARC pourraient-ils dissuader leur base de revenir à la lutte armée ?
La base se sent en insécurité. Timochenko [l’ex-commandant en chef des FARC, ndlr] est hors jeu : suite à la crise cardiaque qu’il a subie en mars dernier, il est en récupération médicale. Il est probable que la plupart des grands leaders des FARC soient pour l’instant en position d’attente des résultats de l’élection présidentielle. Si le candidat de centre-gauche gagne, ils reviendront à Bogotá. Ils ont d’ailleurs cinq sièges de députés et de sénateurs garantis de droit dans la prochaine législature, selon les accords de paix. Mais certains, comme Iván Márquez, ont quitté Bogotá pour se replacer en semi-clandestinité, par crainte soit de se faire arrêter, soit de se faire tuer.
Propos recueillis par Mathieu Dejean.
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