Créée pour le festival d’Avignon en 2019, cette version moderne de Pelléas et Mélisande confirme l’immense talent de la jeune metteure en scène Julie Duclos.
L’apparition a lieu dans la forêt. Golaud, un homme armé d’un fusil de chasse, tombe sur Mélisande, une jeune femme en larmes. Que fait-elle là ? Les premières séquences, surgies en noir et blanc sur un écran de cinéma – une explosion atomique, un naufrage en eaux glacées, un loup errant -, évoquent la guerre, la violence et l’exil. “Je me suis enfuie !”, dira seulement l’héroïne apeurée. Le chasseur cherchera à en savoir plus… En vain. Les énigmes vont même se multiplier au fil de l’intrigue. Comment Golaud est-il tombé sous le charme de Mélisande ? Dans quelles circonstances se sont-ils mariés ? Pourquoi a-t-elle si soudainement cessé de l’aimer, lui préférant son jeune frère Pelléas ?
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Dans la pièce symbolique de Maurice Maeterlinck, les réponses ne sont pas à trouver dans la parole des personnages, mais bien dans l’univers qui la compose : dans ses forêts à perte de vue, dans sa brume envahissante, au fond de ses cavernes inquiétantes. Un décor vivant et signifiant… Et un véritable défi de mise en scène, que Julie Duclos relève haut la main.
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Mêler cinéma et théâtre
La réussite de cette pièce, créée pour le festival d’Avignon en 2019, tient d’abord à sa façon si singulière de mêler cinéma et théâtre. Comme dans Mayday (2017), le dernier spectacle de Julie Duclos, la vidéo, pourtant très présente au fil de cette heure cinquante, ne cannibalise jamais les moments de théâtre : elle permet plutôt de créer des décors infinis et prolonge ses effets de mise en scène. Mention spéciale au moment génial où Golaud interroge son fils au sujet de l’inclination de son épouse pour son frère alors que le visage contrit de l’enfant est projeté sur un grand écran. Mais tout est loin d’être parfait. Les scènes amoureuses, surtout, manquent d’intensité. Tout au long de la pièce, Mélisande (Alix Riemer) paraît excessivement triste et angoissée – une question de direction d’acteur. Le charme qu’elle devrait exercer sur Golaud (Vincent Dissez) puis Pelléas (Matthieu Semper) n’est pas suffisamment perceptible. C’est dommage puisqu’il s’agit du moteur de l’histoire.
En revanche, Julie Duclos parvient à mettre en valeur une dimension très singulière de la pièce de Maurice Maeterlinck. Il s’agit bien d’une tragédie, mais d’une tragédie composée par des personnages mesurés. Le patriarche Arkël (Philippe Duclos, le père de la metteure en scène, impeccable) ne cesse de changer de point de vue, de douter, de se remettre en question et de faire preuve de tolérance. Et surtout, la jalousie qui empoisonne Golaud agit de façon très progressive. Il est d’abord gêné. Puis, il cherche à comprendre, voire à les pardonner. Avant de sombrer dans la folie, tiraillé entre le besoin de tout savoir et la douleur que ses découvertes engendrent. En faisant de lui un personnage à la fois digne et complexe, Julie Duclos s’impose une fois de plus comme l’une des metteures en scènes les plus intéressantes de sa génération.
Pelléas et Mélisande, de Maurice Maeterlinck, mise en scène Julie Duclos, avec Alix Riemer, Matthieu Semper, Vincent Dissez, Philippe Duclos. Jusqu’au 21 mars, Odéon Théâtre de l’Europe (Ateliers Berthiers), Paris. En tournée jusqu’au 3 avril.
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