“Confessions nocturnes” est une chronique bimensuelle qui donne la parole aux lecteur·ices pour parler de sexe, d’érotisme, de genre, d’attachement, d’infidélité… Et qui tente de répondre à cette question : “Comment s’aime-t-on en 2020 ?” Cette semaine, Mona, 28 ans, nous offre une réflexion sur le flirt, les dickpics, la jouissance et l’inconnu.
“Pour comprendre comment cette histoire est née, il faut se replonger dans l’internet d’il y a dix ans. Quand les blogs se sont lancés, je suivais de loin quelques blogueuses : celles-ci racontaient parfois leur vie, et l’une d’elles avait réalisé une séance photo avec son copain. A l’époque, je m’étais dit : ‘Elle a de la chance, ils sont beaux tous les deux’. C’était un petit crush comme il en existe tant sur internet. Puis, Snapchat est arrivé, avec ses stories. C’était le tout début, on ajoutait facilement des inconnu·es à nos listes d’ami·es. J’ai cru comprendre que la blogueuse et son petit ami avaient rompu, alors je l’ai ajouté, lui. C’était il y a six ans. Je regardais ses stories avec curiosité : j’ai compris qu’il bossait dans le milieu culturel, la musique et la photo. Ses publications étaient drôles, cyniques, comme un Beigbeder nouvelle génération. Comme j’étais un peu gênée à l’idée de suivre des gens sans leur parler, un soir, je lui ai écrit. Il faut dire qu’il n’y avait pas foule sur Snapchat à cette heure-là. S’ensuivirent deux heures de discussion assez anodine, qui se transformèrent en flirt.
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Après ce jour-là, nous nous sommes donné des rendez-vous virtuels de manière suivie, à un rythme régulier, pour échanger des sextos ou de beaux textes érotiques. C’est la première fois que j’allais aussi loin, en envoyant des photos à un parfait inconnu et en ayant de réels orgasmes avec quelqu’un que je n’avais jamais rencontré. Depuis, on est restés sur Snapchat et il est mon correspondant érotique. C’est comme un secret de la nuit. On se masturbe en même temps : comme écrire un texto en se touchant n’est pas pratique, parfois, il me fait écouter son orgasme à travers des messages vocaux. Pour jouer, on s’envoie des photos érotiques au milieu de la journée, au travail ou dans les toilettes. Quand on rentre en vacances dans nos familles, dans nos trous paumés respectifs, on se fait du bien comme ça.
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“On a un peu travaillé l’imaginaire des contenus”
Moi, je préfère écrire : à l’écrit, il n’y a pas de limite au fantasme. Il me dit que j’écris bien et que ça l’excite. J’ai l’habitude de scénariser mes fantasmes : à une époque où il partait en tournée en bus, j’inventais des histoires chaudes qui se passaient dans ce bus. Ou bien j’imaginais que j’étais réalisatrice et que j’avais besoin d’un acteur… Il a parfois des envies spécifiques : il me dit qu’il a envie de m’attacher, qu’il ne l’a jamais fait avec personne. De son côté, il préfère la vidéo, alors il se filme. Je lui ai appris que j’en avais marre des dickpics et que ça ne nous excite pas trop, nous les femmes : alors on a un peu travaillé l’imaginaire des contenus. Je l’ai aidé à prendre confiance en lui physiquement : il envoie désormais des nudes ou des vidéos plus travaillées. Je l’ai aussi amené à érotiser d’autres parties de son corps : le bas du dos, les avants bras sont des zones qui me plaisent. Moi, j’ai des rondeurs et je pense être différente des filles qu’il côtoie, j’ai l’impression que ça l’excite. Je suis très à l’aise avec mon corps, mes seins, mes fesses, mon ventre. Je lui ai appris à formuler que c’était ok de dire que je suis grosse.
J’aime bien avoir ce secret, cet amant virtuel. C’est quelque chose que je n’ai pas envie de partager. Et puis, c’est mal vu, je ne le raconte pas. Les gens n’ont pas confiance en l’érotisme avec un inconnu, ça fait peur. Mes ami·es me regardent bizarrement. Etrangement, nous n’avons jamais discuté frontalement de nos relations ‘réelles’. De mon côté, je ne pense pas que j’aurais renoncé à cette relation virtuelle, car la culpabilité aurait rajouté du piment. C’est un rapport hors du temps, qui n’interfère pas avec nos quotidiens respectifs. D’ailleurs, on connaît assez peu de choses de nos vies.
“On reste sur cette tension”
Cette histoire virtuelle dure depuis quatre ans : à un moment donné, j’en ai eu marre d’être un fantasme, surtout qu’il me plaisait beaucoup. Je ne suis pas le minitel rose. Je lui ai dit que je voulais le rencontrer, d’autant qu’on habitait dans la même ville et qu’on évolue dans des cercles qui peuvent facilement se croiser. Mais il trouvait toujours des excuses. Finalement, on a toujours basculé dans le fantasme, en se demandant ce qu’on se ferait si l’on se croisait par hasard dans une soirée. Et ça me convient très bien comme ça.
Et puis un soir, j’étais dans un bar et il est passé dans la rue, sans me voir. J’avais l’impression d’être dans un film. Ensuite, le mois dernier, je sortais d’un entretien d’embauche et là, je l’aperçois à travers la vitrine d’un café : nos regards se sont croisés. On s’est enfin parlés face à face, mais on est restés dans l’échange de banalités. Je portais un grand manteau camel comme Catherine Deneuve, il m’a dit ‘ça fait bizarre de te voir habillée’. On se mangeait du regard mais on est resté polis. Ce qui nous a encore plus excités après, par messages. Finalement, la nature de notre relation ne sera jamais physique. On reste sur cette tension : l’histoire n’est pas finie.”
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Propos recueillis par Clémentine Gallot
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