A Bergen, la Brésilienne réinvente sa pièce Pororoca avec les solistes de la compagnie norvégienne Carte Blanche.
“Pororoca, ou comment des corps différents peuvent se rencontrer.” En une phrase, Lia Rodrigues a changé de cap. Il y a deux ans, à la veille de la tournée de Fúria, on rencontrait L’artiste chez elle au Brésil. On la retrouve aujourd’hui loin de ses terres. Elle a fait de Bergen un port d’attache provisoire avec vue sur les fjords. Lia est venue avec Amalia Lima, son assistante, à l’invitation d’Annabelle Bonnéry, nouvelle directrice de la compagnie norvégienne Carte Blanche.
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“J’ai peu de temps pour être dans un cadre aussi calme, ou tout est simple. J’ai à Bergen une vie réglée et je peux me dédier à ce projet. Ici, il y a des techniciens, des costumiers. A Rio, je suis tout à la fois”, plaisante à peine Lia Rodrigues.
Expérience et improvisation
A la demande des Norvégiens, elle a fait de Pororoca une nouvelle chorégraphie au titre lointain : Nororoca. C’était en quelque sorte la condition pour que la transplantation réussisse : garder le squelette de cette pièce créée en 2009 – et qui n’est plus au répertoire de sa compagnie – pour l’adapter à ces nouveaux danseurs. Le travail a commencé à Maré, favela où la chorégraphe est installée.
Deux semaines, l’été 2019, pour apprivoiser un autre monde, fait de descentes de police, du racisme ambiant, mais tout autant de cette envie de vivre et de danser. “Un moment d’expérience, une grande improvisation de quinze jours”, résume Lia. Qui n’a rien caché à ces interprètes venus de Bergen, montrant à la troupe une vidéo tournée un jour où toute l’équipe brésilienne se réfugia aux toilettes le temps que les tirs de balles cessent !
Ce qui a frappé les membres de Carte Blanche ? “Les gens organisent entre eux une façon de vivre ensemble”, selon Mathias Stoltenberg, l’un des interprètes. Lia Rodrigues avait placé sa création originelle sous les auspices du fleuve, l’Amazone, qui lorsqu’il rencontre la mer se déchaîne et gronde. On appelle cela “pororoca” justement, le bruit. Du bruit, il y en a encore dans la nouvelle version, mais pas de musique. Des souffles, des râles, des rires et des silences.
Une tornade de gestes
La pièce, selon sa conceptrice, est “complètement écrite”. Elle s’ouvre par la vision d’une bande unie, quatorze danseurs, brandissant des objets recyclés de toutes sortes. Qu’ils finissent par éparpiller sur le plateau. “Des accessoires, surtout pas des détritus. Je l’aime, ce petit bout de ficelle”, reprend amusée Lia Rodrigues. Peu à peu, les échanges ont porté leurs fruits, la chorégraphe relevant les spécificités de “ses” invités nordiques comme la propension à se tenir debout. “Alors, nous avons travaillé le poids du bassin ou sur les muscles du visage.”
Nororoca se termine sur une porte qui claque, les danseurs quittant la salle. Le public peut à sa convenance réfléchir à ce qu’il vient de vivre, une tornade de gestes, un déluge de mouvements. Des portés basculés, des frottements, des tiraillements. Pour qui a vu la pièce matrice, ce fameux Pororoca donc, il manquera sans doute un peu de cette furie propre aux collaborateurs de Rodrigues. Nororoca va chercher ailleurs sa rage d’exister.
>> Lire aussi : Rencontre à Rio de Janeiro avec Lia Rodrigues
Les danseurs de Carte Blanche ne jouent pas un rôle trop grand pour eux. On imagine ce qu’ils ont retenu de ces instants de partage à Rio de Janeiro, de ces manifestations auxquelles ils participèrent. Et surtout de la douce voix de Lia Rodrigues. “J’ai appris une nouvelle langue, dit celle-ci. Déchiffrer les sentiments, c’est aussi cela la danse.” La Brésilienne avait sans doute besoin de cette pause entre les tournées de Furia et un nouvel opus prévu en 2021.
“Je travaille à un endroit où il n’y a pas encore de mots”, dit joliment l’artiste à propos de sa prochaine création. Elle est plus que jamais en rage contre ce gouvernement d’extrême droite qui met à genoux son pays, le Brésil. “J’ai travaillé dans les temps de la dictature autrefois. Je sais ce qu’est la résilience.” Pororoca évoquait ces phénomènes naturels entre les eaux. A Bergen, elle a surtout vu la pluie. Pas de quoi entamer l’énergie de cette artiste solaire. “Mais chez nous, c’est la pluie des fascistes.” Avec Lia Rodrigues, même la météorologie est politique.
Nororoca de Lia Rodrigues, avec la compagnie Carte Blanche. Du 18 au 21 mars, Théâtre national de Chaillot, Paris. Le 24 mars, Théâtre Jean-Vilar, Vitry-sur-Seine
Fúria de Lia Rodrigus, avec la Lia Rodrigues Companhia de Danças. Les 14 et 15 mars, T2G, Gennevilliers. Le 20 mars, Théâtre Jean-Vilar, Vitry-sur-Seine
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