Alors qu’une loi est en préparation sur les fake news, le sociologue Gérald Bronner publie la bande dessinée « Crédulités & Rumeurs », où il développe des méthodes éducatives pour prémunir les adolescents contre les théories du complot.
“Moi, j’aimais bien imaginer ces histoires de complots, me dire que j’en savais un peu plus que les autres, que le monde ressemblait à un roman d’espionnage, qu’il y avait clairement des méchants et des bons, nous les résistants…”, s’apitoie Achille. Depuis quelque temps, cet ado mal dans sa peau adhère à de nombreuses théories complotistes sur les attentats du 11-Septembre, contre Charlie Hebdo ou même sur les vaccins. Mais ça, c’était avant qu’il ne rencontre son doppelgänger. Après plusieurs conversations, celui-ci convainc Achille de sa méprise. L’ado balourd fusionne alors avec son alter ego donneur de leçon pour devenir un jeune homme épanoui.
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Achille, c’est l’ado « crédule « , figure d’une génération de plus en plus sensible aux récits erronés qui simplifient la réalité. Il croit à la mise en scène de l’attentat contre Charlie Hebdo. Il s’est renseigné et a vu sur internet deux photographies de la voiture des frères Kouachi pendant l’attaque : une où les rétroviseurs sont blancs, une autre où ils apparaissent noirs.
Cet ado guidé par ses intuitions plutôt que par la rationalité, Gérald Bronner veut lui faire ouvrir les yeux. Sociologue et auteur de la Démocratie des crédules (PUF, 2013), il a décidé de vulgariser sa thèse en une bande-dessinée : Crédule & Rumeurs, publiée le 4 mai dernier. Son but est d’expliquer aux adolescents comment fonctionne leur cerveau pour qu’ils soient moins vulnérables aux fake news. Plutôt qu’une loi sur les fake news « sous-dimensionnée« , il milite pour une « révolution pédagogique« ….
Des biais cognitifs qui poussent à l’erreur de jugement
« Pourquoi certaines théories sont contre-intuitives comme la théorie de l’évolution par exemple ? En réfléchissant à cette contre-intuition [pourquoi le cerveau trouve plus logique certaines explications fausses que des théories certifiées, ndlr.], on essaie alors de comprendre comment fonctionne notre esprit. Je crois que c’est la meilleure façon de se prémunir de la diffusion des théories du complot« , confie Gérald Bronner aux Inrocks. Sa méthode analytique prône l’autonomie. « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson », aime-t-il dire.
Ainsi, il enseigne à l’ado les biais cognitifs, ces mauvais tours que lui joue son cerveau « naturellement » séduit par les fake news. Dans la bande dessinée, l’alter-ego d’Achille parle de « limites spatiales« . Ce concept lui permet de prouver que la couleur changeante de la voiture des frères Kouachi est une illusion d’optique. « Les rétroviseurs étaient chromés, donc ils changent de couleur en apparence selon la luminosité du ciel. Ça, c’est une manifestation des limites spatiales de ta rationalité : si tu avais pu faire vraiment le tour de cette voiture, tu t’en serais aperçu« , lui susurre-t-il, la main posée sur son épaule.
Pour lui montrer que sa peur de se faire vacciner est infondée, l’alter ego aux cheveux bruns use d’une autre concept : « la balance des coûts« . « Notre cerveau a beaucoup plus de considération pour les coûts que pour les bénéfices. Pour compenser 1 euro de coût, il faut 2,5 de bénéfices. C’est pourquoi ceux qui luttent contre le vaccin (…) arrivent à attirer notre attention sur les coûts plutôt que sur les bénéfices de ces objets », indique l’auteur.
Dire comment mais pas pourquoi
Les biais cognitifs s’enchaînent au fil des pages : biais de confirmation (le fait d’aller chercher des informations qui vont dans le sens de ce que l’on croit déjà), le biais de négligence de régression vers la moyenne (la faible probabilité qu’une performance exceptionnelle se reproduise une seconde fois) ou encore la négligence de la taille de l’échantillon (refuser que des faits isolées peuvent relever du hasard). Des explications cognitives qui aident à comprendre la viralité dé certaines thèses complotistes.
« Exciter la pensée analytique de l’adolescent »
S’il permet de démonter d’analyser le succès de fake news, l’ouvrage seul peut ne pas être suffisant pour convaincre un adepte des théories complotistes, Gérald Bronner en a conscience : « C’est une bande dessinée qu’on lit dans un cadre pédagogique. Les adolescents ont sûrement besoin d’être encadrés par un professeur pour s’en emparer ».
Les deux facettes simplistes d’un même adolescent (Achille et son alter ego) font référence “au système 1 et système 2 de Daniel Kahneman, le prix Nobel d’économie 2002”, indique l’auteur. L’adolescent en proie aux théories du complot incarne le système de pensée intuitif et émotionnel. L’autre, le système de pensée lent et analytique. “Quand on excite la pensée analytique, cela réduit la probabilité d’endosser des théories complotistes et créationnistes”, affirme le sociologue. Et c’est ce que cherche à faire cette BD : « Si tu maîtrise mieux les limites qui pèsent sur ton jugement, tu auras beaucoup moins à craindre des manipulations extérieures, qu’elles viennent d’internet ou des médias conventionnels », professe l’alter égo à Achille durant une partie de foot.
Crédulités & Rumeurs de Gérald Bronner et Jean-Paul Krassinsky, La petite bédéthèque des savoirs ( Le Lombard), 71 p., 10 euros
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