Le dandy cool Jonathan Wilson s’est expatrié à Nashville pour un retour aux sources qui atteint des hauteurs vertigineuses.
Au mitan des années 2010, Jonathan Wilson et son frère d’armes Josh Tillman – plus connu sous son très ecclésiastique sobriquet Father John Misty – ont un temps représenté la quintessence d’un dandysme typiquement californien. Le genre qui, une fois endossé, vous amènerait à côtoyer les starlettes hollywoodiennes de Chateau Marmont, avant de partir en virée à bord d’une Porsche 911 de 1975 sur le Sunset Strip en écoutant les Byrds, la plage arrière encombrée d’une Fender acoustique.
Les regards s’étant davantage portés ces derniers mois sur les frasques bling du Calabasas des Kardashian, le revival de l’esprit du Laurel Canyon 70’s a depuis pris un sacré coup derrière les oreilles, laissant la place nette à un autre grand mythe de l’Amérique blanche, celui du cow-boy. D’Orville Peck à Honey Harper, en passant par la môme d’Atlanta Faye Webster ou le Old Town Road de Lil Nas X, la country music, genre ultime accolé à ce folklore western, a récemment connu un nouveau souffle.
“Dans le Sud, si t’es un bon musicien, c’est à Nashville que tu vas”
On se rappelle les mots de Nick Tosches au sujet du “chic redneck” importé à New York au milieu des seventies sous l’impulsion du succès dans les charts de Willie Nelson : “Les saloons comme il faut de Manhattan grouillèrent de chapeaux à la noix, de Texans professionnels et de soi-disant vieux de la vieille dorés à point sous le soleil artificiel” ; si ce constat semble faire écho aujourd’hui, il n’enlève rien au fait que les Etats du Sud, et plus particulièrement le Tennessee, leur épicentre, demeurent des territoires authentiques de savoir-faire musical.
“Dans le Sud, si t’es un bon musicien, c’est à Nashville que tu vas. Ou à Hollywood”, confie cash Jonathan Wilson. Le kid de Thomasville, Caroline du Nord – “un trou à rats connu pour sa fabrication de meubles, c’est pour ça que tu trouveras un monument en forme de chaise géante haut de dix mètres en plein centre-ville” –, sait de quoi il parle.
Expatrié sur la côte Ouest depuis bientôt quinze ans, Wilson a profité de l’indisponibilité de son studio de Silver Lake, en travaux, et de la fin de sa grande tournée aux côtés de Roger Waters (il est son guitariste additionnel) pour filer à Nashville sur les bons conseils du country-rockeur Steve Earle, le temps de mettre en boîte le successeur de Rare Birds, grand disque qui rendait hommage au soft-rock de sa jeunesse. Habitué à travailler seul dans son coin sur ses compositions, ce bon vieux Jonathan découvre une autre culture, celle des musiciens de session.
Un hommage à Dixie Trail, la rue où il a grandi
“C’est un job à temps plein pour ces mecs-là. La journée typique d’un musicien de session, c’est deux chansons dans la matinée, un break pour aller déjeuner et deux autres chansons dans l’après-midi. Ils font 9 heures-17 heures, puis rentrent chez eux retrouver femmes et enfants. C’est drôle, parce qu’en principe, c’est l’opposé même de l’idée que je me fais de l’inspiration artistique. Comment peux-tu être inspiré et sortir le meilleur de toi à 9 heures du mat’ ? Ces types le peuvent !”
Quiconque a déjà foutu les pieds dans un honky tonk de Main Street peut témoigner de la sidérante maîtrise des musiciens qui y égrènent les classiques de Johnny Cash et consorts, alors qu’il ne serait même pas envisageable de les croiser en studio aux côtés des plus grands, le niveau d’exigence planant à des altitudes vertigineuses : “La musique à Nashville, c’est quelque chose de très compétitif. Un peu comme les gars qui faisaient du heavy metal dans les années 1980 ou chez les musiciens de jazz avant ça. T’as déjà écouté ce classique, Nashville Cats, chanté par The Lovin’ Spoonful ? Ça parle de l’impossibilité pour toi d’être le meilleur à ton instrument, parce qu’il y aura toujours un autre type qui débarquera après toi pour rebattre les cartes”, rigole Wilson. L’album s’appelle donc Dixie Blur, en hommage à Dixie Trail, la rue où il a grandi.
L’outlaw country, sur fond de mellotron, que joue ici Jonathan, évoque nécessairement ce retour aux sources, signe que l’Amérique de Trump a besoin de titiller ses racines mythologiques pour retrouver la trace de parcours de vie plus intimes. C’est ainsi que sur 69 Corvette, Jonathan Wilson se souvient des rêves d’aventure de son père au volant de cette bagnole légendaire, cousine de la Stingray de Joan Didion, et superpose les mythes, qu’il dilue dans le brouillard de sa mémoire.
Un nom revient souvent dans la bouche de Wilson, celui de Charlie McCoy, une sommité des studios, dont on entend l’harmonica sur le Nashville Skyline (1969) de Bob Dylan : “C’était surtout un tueur à la basse. Il est aussi sur l’album John Wesley Harding (1967) de Dylan. Ce groupe, qui joue sur ce disque, est sans doute mon préféré de tous les temps. Le son est tellement cool.” John Wesley Harding, le hors-la-loi, encore une image persistante de la culture populaire made in USA que la musique country aura figée à jamais. Comme Jonathan Wilson qui, avec Dixie Blur, aura exalté ses fantasmes d’americana.
Album Dixie Blur (Bella Union/PIAS)
Concert Le 29 mars, Paris (Trabendo)